LES B.A. BA DE LA SYSTEMIQUE... par le Dr BALTA
2ème B.A. BA :
ÇA TOURNE OU ÇA VA TOUT DROIT ? circularité et linéarité
En systémique, un des termes le plus fréquemment utilisé est sans doute celui de "circularité". Ce qui est circulaire relèverait d’une pensée juste, "vraiment" systémique, penser "linéaire" étant proche de la faute plus encore que de l’erreur épistémologique !...
On rencontre le couple circulaire/linéaire utilisé principalement dans deux types de contextes :
– Pour qualifier deux modes de communication :
- le mode verbal (le langage), “linéaire”
- le mode non verbal (attitudes, gestes, intonations, etc.) “circulaire”
– pour désigner deux modes de causalité d’un évènement.
Ces mots reflètent alors deux conceptions de la réalité.
En ce qui concerne la communication
Parler, c’est étirer un ruban sur lequel les mots apparaissent les uns après les autres. Le langage impose donc une structure continue linéaire avec :
– nécessairement un début fixé arbitrairement. C’est la notion de “ponctuation arbitraire” sur laquelle insiste l’École de Palo Alto : décrire une séquence de comportements, c’est nécessairement commencer sa description à partir d’un moment précis, d’une action particulière, reflet d’un choix particulier subjectif et contestable.
– une suite Sujet (considéré comme actif)- Verbe - Complément (considéré comme subissant l’action, passif).
– Des moments de pause ou de silence, de non existence de la parole, considérés comme "vides", sans signification.
De cette structure découlent des conséquences importantes pour notre représentation du monde et des relations entre les personnes :
– Le déroulement temporel selon l’existence d’un avant et d’un après invite à penser l’avant comme cause de l’après. (causalité linéaire A→B, voir la théorie Stimulus → Réponse.)
– Le langage suggère que le sujet grammatical a une responsabilité plus grande (ou même exclusive) dans l’action décrite
– une telle description invite implicitement à orienter l’action correctrice sur ce qui est désigné comme cause.
Le mode de communication non verbal se structure lui sur un mode circulaire :
– simultanéité des actions de tous les éléments en jeu. Alors que la communication verbale est alternante, consécutive, au niveau non verbal les échanges sont synchrones, simultanés, enchevêtrés, instantanément influencés et influençant
– il y a une co-adaptation réciproque des protagonistes au fur et à mesure de l’échange. Ils sont donc tous coresponsables de l’évolution de la communication et de son résultat. Chacun participe, à sa manière, et est donc acteur et agi.
– Il n’y a pas de "silences comportementaux" : "on ne peut pas ne pas se comporter" pour paraphraser le célèbre aphorisme du groupe de Palo Alto (encore lui !) "on ne peut pas ne pas communiquer".
Ainsi s’opposerait le verbal (linéaire) et le non verbal (circulaire). D’une manière un peu caricaturale, la parole servirait à transmettre de l’information préstructurée et elle structurerait en retour irrémédiablement notre vision des faits selon la suite sujet-verbe-complément, alors que le non-verbal et le paraverbal seraient des marqueurs de contexte soutenant et précisant le sens de ce qui est dit. C’est oublier quelque peu toutes les finesses du langage, sa capacité à jouer sur le(s) temps, la représentation de l’absence et de la présence, ses multiples formules de style, ses niveaux implicites, et sa capacité à se contextualiser lui-même (voir l’humour ou les paradoxes par exemple)... Le langage est aussi un inducteur de confusion, un créateur de rêve, une porte vers l’impensable, une machine à voyager dans le temps et l’espace. Il y a paradoxalement une utilisation "non verbale" du verbal, comme Milton Erickson savait si bien le faire, ou comme le font régulièrement les poètes... et les amoureux parfois.
En ce qui concerne la causalité
La causalité linéaire, c’est la causalité des sciences classiques. Une cause produit un effet. La cause précède l’effet, l’effet est consécutif à ce qui le cause. Nous sommes dans un contexte où tous les autres paramètres sont considérés comme invariants, c’est-à-dire sans influence sur le phénomène causé. C’est le schéma habituel de la pensée médicale, qui conçoit le diagnostic étiologique comme une enquête rétrograde qui remonte d’un effet (les signes cliniques) à ce qui les cause.
La causalité circulaire tente de prendre en compte la complexité du monde vivant, la multiplicité des paramètres qu’on ne peut artificiellement figer. Il faut donc introduire de nouveaux concepts, qui ont été en partie apportés par la cybernétique, dont celui de rétroaction (feed-back).
– l’après (le projet, l’attente, le but, la finalité) il serait plus exact d’ailleurs de dire les après dans la mesure où il y en a plusieurs par personne et plusieurs aussi pour leur ensemble - agit sur l’avant. Le “ici et maintenant” (le présent) est influencé non seulement par le passé qui y a conduit mais aussi par l’à venir.
– il y a deux formes de rétroaction :
- La rétroaction dite positive : l’effet agit sur ce qui le cause en augmentant la déviation de cette cause dans le même sens. Il serait plus juste de l’appeler rétroaction amplificatrice puisque là "le plus entraîne le plus.../... le moins entraîne le moins" (J. Miermont & Martine Gross. Dictionnaire des thérapies familiales. Payot. 1987). C’est un processus exponentiel : plus la cause produit un effet, plus cet effet augmente la cause. Ce qui amène plus ou moins le système à la mort ou à l’explosion. Ainsi de l’élève découragé par ses mauvaises notes qui en fait de moins en moins ce qui le décourage davantage et le démotive au point d’en faire encore moins... Ainsi aussi de la personne qui prend des risques de plus en plus grands puisqu’à chaque fois elle s’en tire sans dommages.
- Et la rétroaction dite négative qui diminue l’influence de ce qui la cause. Il serait plus juste de l’appeler rétroaction stabilisatrice ou rétroaction correctrice puisqu’elle ramène le système vers l’équilibre. (cf figure 2 : la rétroaction)
- On peut considérer tout système comme constitué de diverses boucles de feed-back amplificateurs et stabilisateurs qui, en fin de compte, s’organise, pour un comportement donné, entre certaines "valeurs" qui en consitutent les limites de fonctionnement. Pour sortir de ces limites (= changer), il faut soit modifier ou supprimer une boucle de rétroaction négative, soit stimuler une boucle amplificatrice. Tout comportement peut ainsi être compris comme un équilibre stable et dynamique soutenu par deux boucles de rétroaction amplificatrice limitées par deux boucles de rétroaction négative. (cf figure 3)
– il n’y a, au niveau de l’interaction systémique, ni “victimes”, ni “méchants”, ni “gentils”. Il n’y a qu’une répartition de rôles en fonction de critères tant individuels que systémiques. Chacun est à 100 % responsable de sa participation et de la forme qu’il lui donne.
– l’action correctrice est orientée sur les ”règles du jeu” du système.
CONCLUSION
Si l’on considère que dans un système vivant il existe un nombre infini d’éléments ou de niveaux identifiables, pour les interactions entre chacun de ces éléments et de ces niveaux il existe autant de boucles de rétroactions circulaires. On imagine volontiers la complexité d’un tel modèle. Or tout modèle est fait pour représenter en simplifiant, pas pour être le territoire représenté.
Un pas de plus consiste donc à comprendre que nous n’avons nul besoin de connaître tous ces niveaux ou de repérer tous ces éléments pour intervenir. Il faut et il suffit de déterminer un niveau pertinent pour l’objectif envisagé. D’autant qu’un petit changement local peut suffire pour amener une restructuration de la totalité. (Cf. Qu’est-ce qu’un système ?. Générations N°16)
Un pas de plus encore, c’est de se considérer soi-même comme un des éléments de ce système, et donc d’intervenir à partir de son interaction avec le système, et fondamentalement sur notre représentation de la situation. (cf. figure 4)
F. BALTA