La peur de l’autre dans le présent contexte de mutation sociétale
Jean-Paul Gaillard
Revue économique et sociale - volume 69 - juin 2011 - Lausanne
« Le monde réel intervient uniquement là où nos constructions échouent »
L’histoire des sociétés montre qu’elles subissent deux formes différentes de transformation : la plus reconnue et donc la mieux documentée est la transformation progressive, de forme quasi-linéaire, facile à observer à l’échelle d’une vie humaine ; l’autre, le plus souvent méconnue car ne survenant que plusieurs siècles après la précédente, ne peut se modéliser qu’en terme de bifurcation (Prigogine 2001), de catastrophe (Thom 1972) ou encore de mutation (Gaillard 2007).
Nous vivons aujourd’hui, à strictement parler, une de ces mutations sociétales qu’une civilisation ne connaît que très rarement. La société occidentale, dite aussi européenne, est née au 4ième siècle avec la subversion de l’empire romain par le monde chrétien [1], une extraordinaire mutation concrétisée sur tout l’occident en moins d’un siècle ; notre société occidentale a ensuite connu une autre mutation significative au 10-12ième siècle, puis à la Renaissance (16ième siècle), une autre au siècle des lumières (18ième siècle) et une encore aujourd’hui (21ième siècle).
Chacune de ces mutations sociétales s’est accompagnée d’une mutation psychosociétale : en d’autres termes, chacune de ces mutations a produit un « homme nouveau ».
L’homme chrétien [2], l’honnête homme [3], l’homme des lumières [4], ont été bien documentés, à leur époque puis par les historiens.
Nous assistons aujourd’hui au façonnement du pénultième [5] homme nouveau, dans la douleur des frottements aussi durs qu’inévitables entre deux univers incommensurables.
Aucun ne disposant d’une grille de lecture de l’autre, ils se trouvent dans l’incapacité de co-générer…