L’inceste : d’un état des lieux à une pratique de la clinique
Yves-Hiram Haesevoets
"Autant le fantasme du désir incestueux pour le père est structurant pour la féminité de la fille, autant il est ravageant pour sa libido s’il vient à se réaliser (avec le père ou le frère). C’est aux dépens de sa dynamique qu’elle s’y soumet, coupable ou non, d’ailleurs avec le sentiment d’être une victime sacrificielle déshumanisée. Dès lors, porter le nom de cet homme qui a voulu jouir d’elle, hors de la loi dont il était le représentant, c’est pour la fille un déshonneur. (...) Accomplir le désir incestueux produirait une sorte d’autisme à deux, entre des êtres fusionnés. Car il y a dédynamisation s’il y a possession génitale de celui qui a été le modèle pour grandir."
Naître une victime, Françoise Dolto (1985 : 243)
L’inceste, une confusion de langue entre l’adulte et l’enfant
La pratique clinique est de plus en plus interpellée par des histoires d’inceste. D’un point de vue humain, cette problématique relève du non-sens existentiel. L’inceste essaye de détruire le temps psychique, en agressant l’ordre symbolique des choses et la structure inconsciente du langage. En détruisant le désir de l’autre, l’inceste fige ou bouleverse l’agencement des générations et engendre le trauma. La plupart des histoires d’inceste rapportées par l’expérience clinique et le témoignage des victimes montrent que la prégnance de l’abus sexuel est telle que la plupart des enfants sexuellement incestés sont aliénés à une vie quotidienne pauvre en sens.
L’enfant qui vit une situation incestueuse s’y laisse souvent prendre à partir d’une quête affective (le langage de la tendresse) qui rencontre chez l’adulte un désir passionnel prohibé et non refoulé (le langage de la passion) [1] . La réalisation de ce désir abolit la distance nécessaire à l’individuation de l’enfant et à son développement global. Au risque d’éprouver une angoisse de morcellement ou d’anéantissement, l’enfant se défend en évitant de comprendre. À cette fin, il élabore des mécanismes de survie qui maintiennent l’événement réel hors de portée du champ de la mentalisation (scotomisation de la réalité, syndrome d’accommodation et clivage du moi). La clinique de l’inceste met en évidence la confusion des rôles générationnels et sexuels au sein de la famille. La famille incestueuse se caractérise par l’absence d’un triangle oedipien stable, par défaut d’un tiers ; un tiers, qui, subordonné au désir, rend accessible la différenciation des sexes et des générations par l’interdit édicté par la Loi du père, celle qui signifie le tabou de l’inceste. « La loi qui interdit (l’inceste) nous contraint à donner, l’inhibition nous invite au partage, l’angoisse nous incite à la rencontre. » (Cyrulnik, 1993 : 195)
L’inceste est un amour sans forme
L’inceste est un amour sans forme, sans distance. Alors que la distance est nécessaire pour mettre en place le rituel qui aménage l’affectivité et transforme la violence en agressivité libératrice. Ceux qui vivent l’inceste n’éprouvent pas le Sacré. Ainsi, il existe des lignées familiales où l’inceste se répète à travers les générations comme un jeu intime qui n’aurait aucune raison d’être interdit ; la sexualité y jouerait le rôle de liant affectif. Par contre, ceux qui subissent l’inceste éprouvent de l’horreur, parce qu’ils vivent dans la représentation du Sacré, lequel massacre une grande part de leur vie psychique.
L’attachement empêche l’inceste, et à l’origine, la loi qui interdit l’inceste est vivante, émotive et naturelle. Ensuite, elle est devenue religieuse, morale, culturelle et langagière. L’ensemble des…