Hommage à Guy Ausloos Quand le soutien de la compétence des équipes invite le professionnel à regarder du côté de la compétence des familles.

Au travers de cet écrit, je souhaite illustrer la manière dont certains apports de Guy Ausloos accompagnent ma pratique de la supervion d’équipe.

Il y a bien sûr son ouvrage incontournable du champ systémique, « La compétence des familles » mais mes propos concernent ici un interview de Monsieur Ausloos réalisé par Marc Dhondt au congrès de l’EFTA de 2010.

Dans cette vidéo, Guy Ausloos y aborde la dimension éthique des représentations : « Nous ne rencontrons jamais la personne que nous rencontrons, nous rencontrons la représentation que nous nous faisons de la personne. En fait, j’y vois une dimension éthique : je suis responsable de la représentation que je me fais de l’autre. »

En effet, au sujet d’une personne, d’une situation, d’une famille, il existe bon nombre de représentations différentes. Certaines plutôt favorables à la rencontre, en termes d’alliance, d’apprivoisement, de « joining », prémisse sine qua non à toute relation d’aide. D’autres, plutôt limitantes ou faisant obstacle à la possibilité de rejoindre l’autre.

L’illustration qui suit concerne un dispositif de supervision d’une équipe de travailleurs psychosociaux du secteur de l’aide à la jeunesse. Lors de notre quatrième séance de supervision, une intervenante souhaite aborder « le manque de transparence de certaines familles ». L’ensemble de l’équipe adhère à un temps d’arrêt sur ce thème, elle déploie donc la situation. Il y est question d’une grand-mère « girouette », qui change d’avis, de position régulièrement face aux intervenants. Le dernier événement en date est une rencontre chez le mandant où la professionnelle a été « remplacée » par sa collègue et où la grand-mère a tenu des propos peu engageants envers l’accompagnement du service dont il est question ici. La difficulté de l’intervenante se situe dans la poursuite de l’accompagnement faisant suite à cet évènement.

D’emblée, dans mon « dialogue intérieur », la question des représentations évoquée plus haut m’apparait être une voie à emprunter. Mais comment les y emmener ? En tentant d’éclairer l’émotion sous-jacente à la représentation de l’intervenant ?

Je décide donc d’accueillir d’abord l’émotion qui émerge chez chacun d’entre eux face au récit de leur collègue. Ils notent un mot sur un post-it et l’affichent sur le tableau. Parmi ces mots apparaissent à plusieurs reprises « colère », « agacement » etc.

A ce moment-là, une surprise apparait : l’un d’entre eux a écrit : « curiosité  ». Je demande à l’auteur de ce post-it d’en dire un peu plus sur ce choix. Il s’avère que celle qui a écrit cela rejoint le groupe de supervion pour la première fois, étant nouvelle engagée dans le service... La curiosité… Il ne s’agit pas d’une émotion mais d’une invitation à aller plus loin… Sa position de "nouvelle" ne partageant pas encore tout à fait la "culture de cette équipe" n’est probablement pas sans lien avec ce regard décalé.

Ensuite, je propose l’outil du jeu de rôle pour que les intervenants qui le souhaitent puissent « tenter quelque chose avec cette grand-mère dans l’espace sécurisé de notre laboratoire ».

La technique du jeu de rôle consiste à mettre en scène avec d’autres membres de l’équipe, l’intervenant et la grand-mère et de les faire "jouer" une partie de l’entretien pendant que le reste du groupe observe l’interaction. Certains superviseurs choisiront de mettre en scène l’intervenant concerné par la situation à la place du bénéficiaire afin qu’il expérimente au plus près la portée des interventions. Dans le cas présent, j’ai choisis de proposer à l’intervenante concernée la place d’observateur, je pense que cette place permet aussi d’accueillir le vécu de l’observation de manière plus sereine car il est dégagé du stress lié au "jeu d’acteur".

La consigne donnée dans le cas présent aux membres du groupe est de réfléchir et ensuite d’expérimenter une formulation qui permette de métacommuniquer lors du prochain entretien avec la grand-mère sur ce qui à mis à mal l’intervenant.

Ils seront trois à s’assoir, à tour de rôle, sur la chaise du professionnel pour proposer une formulation. Dans le dispositif du jeu de rôle, à ce stade du travail avec cette équipe, la liberté de s’essayer me semble indispensable afin de respecter le rythme de chacun et le besoin de se sentir suffisamment à l’aise que pour s’exposer à travers cet outil. En effet, cette technique demande des conditions de sécurité suffisantes, tant celles qui peuvent être installées dans le groupe que celles qui dépendent du sentiment de sécurité interne propre à chaque professionnel.

L’intervenante qui a présenté la situation et qui est en position d’observation sera interrogée, après chaque essai, sur ce « avec quoi elle repart » de l’intervention de son collègue. Cette étape permet de faire circuler le savoir, non seulement elle permet à celui qui expose une situation de prendre conscience de ce qu’il reçoit du groupe, de ses collègues mais elle permet aussi de souligner pour celui qui partage sa formulation qu’il dispose d’un savoir utile pour le groupe et c’est ainsi une manière de soutenir la compétence collective.

Enfin, je clôturerai cette expérience par une proposition d’utiliser l’outil de Guy Ausloos, «  la méchante connotation positive » qui permettra à l’intervenant de « faire quelque chose avec son agacement », peut-être d’utile pour la famille ? Et surtout, de recadrer positivement ce que ce comportement de la grand-mère permet dans la situation qui nous occupe.

La méchante connotation positive proposée par Guy Ausloos consiste à utiliser l’émotion négative qui émerge de l’interaction entre le professionnel et le bénéficiaire ou la famille afin de la renvoyer au système tout en proposant dans le même temps, une connotation positive de ce comportement. Les bénéfices de cette technique sont multiples tant pour le professionnel que pour la famille. D’abord, elle permet à l’intervenant d’explorer l’aspect positif d’un comportement, à priori vécu comme négatif. Elle agit donc sur la question des représentations du professionnel abordée en début d’article. Elle permet aussi au système d’être informé que ce qu’il peut susciter chez l’autre mais aussi d’y voir un aspect positif c’est-à-dire une forme de compétence.

Ainsi par exemple, au sujet des positions multiples et changeantes de la grand-mère maternelle quant à la reprise de lien entre ses petits-enfants et leur maman, l’intervenant pourrait tenter une méchante connotation positive : " Il est parfois agaçant pour nous, madame, que vous changiez sans cesse d’avis quant à la possibilité que vos petits-enfants puissent rencontrer à nouveau leur maman. Cependant, le fait que votre avis ne soit pas tranché et que vous envisagiez par moment que cela puisse être une bonne chose, nous laisse penser que vous percevez le besoin des enfants d’être en lien avec leur maman et ce même si, elle n’est pas mesure de s’en occuper au quotidien".

Lors du tour de table clôturant cette séance, l’intervenante dira : "qu’elle ne voit plus tout à fait la grand-mère de la même manière et qu’elle aperçoit à nouveau une possibilité de poursuivre cet accompagnement".

Pour conclure, je pense que la notion de compétence des familles peut selon moi, s’élargir à celle de compétence des intervenants qui émerge dans l’espace de supervision. Si celle-ci est éclairée, elle peut devenir une invitation à approcher la compétence des familles à l’image des poupées gigognes.

Merci pour vos apports Monsieur Ausloos.

Marie Moussiaux

Voir en ligne : Vidéo de Guy Ausloos