La compétence des familles Ausloos Guy Editions Eres

La compétence des familles,

Temps chaos, processus,

Guy AUSLOOS, Ed. Eres

« Faire de la thérapie n’est pas résoudre des problèmes ou corriger des erreurs mais se plonger dans le mystère des familles et de leur rencontre. Ceci implique de passer d’une thérapie où le thérapeute observe à une thérapie où le thérapeute s’observe pour refléter à la famille compétente cette perception qui permet de laisser émerger « l’autosolution ».

A travers ce résumé, je vais essayer de vous faire partager ce que Guy Ausloos propose comme manière d’être, d’intervenir, et attitudes en tant que thérapeute à travers des consultations avec les familles.
Il nous invite à nous laisser pénétrer par le mystère de la famille compétente plutôt qu’à rechercher des recettes pour traiter la famille dysfonctionnelle.

En systémique, avec les familles, il est important d’être créatif

Deux postulats sur lequel Guy Ausloos s’appuie pour ses interventions :

a) Postulat de la compétence :
« Une famille ne peut se poser que des problèmes qu’elle est capable de résoudre »

b) Postulat de l’information pertinente
L’information pertinente est celle qui vient de la famille et y retourne

Le temps

1. Savoir attendre : le temps du processus

Quelques propositions pour activer le processus familial :

1. Passer du temps immobilisé du diagnostic au temps dynamique de l’évolution potentielle
Formule : patient : « j’aimerais redevenir comme avant »
Thérapeute : « je suis très ennuyé parce que je ne pourrai pas vous faire redevenir comme avant mais comme après.
Tenir compte du passé « oui » mais ne pas s’y engluer ; aller au-delà….

2. Essayer de ne pas savoir
Le fait de vouloir comprendre, le désir de découvrir et notre désir herméneutique, nous empêchent souvent de laisser les gens se réapproprier leur vécu.
Laisser à la famille la possibilité de développer leurs propres hypothèses. Et pour cela, il faut savoir attendre  le temps que le processus se fasse.

3. Ne pas se centrer sur les contenus mais sur le processus
Il faudrait arrêter de parler de famille dysfonctionnelle pour parler de famille fonctionnant autrement.

4. Sortir de notre impatience thérapeutique
Notre impatience thérapeutique nous amène à prendre nos théories pour des dogmes, à croire que nos solutions sont bonnes pour tout le monde, à empêcher les familles de trouver leurs autosolutions.

5. Cesser de parler de résistance des familles, de résistance de nos clients
Qui ne s’est pas dit : « avec cette famille là, il n’y a rien à faire ». La famille a besoin de temps pour évaluer, expérimenter, trouver leur auto solution, elle est prudente et à raison de l’être. Le thérapeute, par son impatience, est parfois incapable de voir le potentiel évolutif de la famille.

En tant que thérapeute, nous aurons meilleur temps de :
  leur permettre de comprendre plutôt que de leur transmettre notre compréhension
  leur laisser la responsabilité du changement plutôt que d’en être l’agent ;
  nous ouvrir à l’imprévisibilité plutôt que de vouloir tout contrôler ;

La famille aura meilleur temps de :
  trouver leurs autosolutions plutôt que de suivre nos conseils ;
  pouvoir expérimenter avant de décider ;
  s’engager dans l’avenir plutôt que de se pencher sur le passé ;

2. Vivre le temps

Définition du système : Un ensemble d’éléments en interaction, organisé en fonction de l’environnement et de ses finalités et évoluant dans le temps.

Deux types de familles illustrent bien ce propos dont les fonctionnements sont extrêmes et même opposé : les familles à transactions rigides qui souvent produisent des membres psychotiques et les familles à transactions chaotiques qui, fréquemment, produisent des membres délinquants. Leur façon spécifique de se situer dans le temps influence leur fonctionnement et implique des abords thérapeutiques différents.

Les familles ne s’inscrivent pas dans le temps de la même façon :
  pour les familles à transactions rigides, le temps s’écoule imperturbablement sans que surviennent des changements ; le temps est arrêté ;
  pour les familles à transactions chaotiques, le temps est rythmé par des événements venant de la famille ou de l’extérieur, qui font que tout change sans cesse, le temps est événementiel.

Familles à transaction rigides

Perception du temps
  Temps arrêté (passé et présent confondus sans futur envisageable)
  Pas d’informations nouvelles (d’où arrêt du processus et homéostase qui se réduit au non changement).
(Entropie augmente)
  Mémoire inutilisable
  Le pouvoir est dans le jeu symétrique (les paradoxes figent, les contraires s’annulent, les vélléités de changement s’enlisent dans les immobilismes).

Familles à transaction chaotiques

Perception du temps

-Temps événementiel (sans passé, ni futur ; seulement temps immédiat)
  Surcharge d’informations (d’où emballement du processus et homéostase qui se réduit aux changements mains non durables).
(Entropie augmente)
  Pas de mise en mémoire
  Le pouvoir est dans le jeu événementiel. (les prises de pouvoir successives empêchent tout changement du fait du mouvement incessant).

Familles à transaction rigides

Réactions du thérapeute

  Oublie le contenu des séances et le sens lui échappe
  A tendance à faire des séances trop longues avec l’illusion de recueillir des informations supplémentaires
  Se sent confus

Familles à transaction chaotiques

Réactions du thérapeute

  Ne se souvient que d’une succession d’événements sans cohérence apparente.
  Se laisse embarquer dans des séances chaotiques et désordonnées d’où il ne tire aucune information.
  Se sent débordé

Familles à transaction rigides

Conséquences thérapeutiques

  Mobiliser le temps en suscitant la crise pour sortir de la rigidité
  Respecter les craintes de changement, quitte à prendre une attitude paradoxale de non-changement
  Définir la relation pour sortir des relations symétriques figées.
  Donner un futur (projet) pour rendre vivant le passé
  Mener l’entretien de façon souple pour que circulent les informations

Familles à transaction chaotiques

Conséquences thérapeutiques

  Freiner le temps en introduisant la durée pour sortir du chaos
  Provoquer des changements restreints mais durables pour introduire la permanence.
  Préciser le contrat pour sortir de l’agir événementiel.
  Rendre un passé (historicité) pour permettre un futur dans la durée
  Mener l’entretien de façon ferme pour que les informations soient retenues.

Que le temps soit arrêté ou événementiel, ce qui importe pour le thérapeute, c’est de percevoir dans quel jeu temporel il est pris et les conséquences que cela implique pour lui, en fonction de sa façon propre de se situer dans le temps. Sa subjectivité reste sa meilleure alliée.

Pour nous, il n’y a pas de spécificité des symptômes mais spécificité des transactions et des techniques applicables. Ce qui reste constant, c’est que pour le systémicien, faire de la thérapie, c’est faire circuler de l’information qui vienne du système pour y retourner et ouvrir aux possibilités de changement.

Chaos familial, activation thérapeutique

Le travail de la première séance

Circulariser l’information

L’information, c’est une différence qui fait la différence. Mais cette information ne doit pas circuler à sens unique, de la famille au thérapeute, mais au contraire qu’elle soit circularisée, c’est-à-dire qu’elle informe en même temps celui qui l’a produit et ceux ou celles qui la reçoivent.

Processus

Le rôle du thérapeute n’est plus de comprendre, c’est-à-dire de prendre ensemble (pour soi), ou de s’informer, c’est-à-dire de mettre en forme leur réalité, mais de les informer sur ce qu’ils savent sans savoir qu’ils le savent, il s’agit d’activer un processus qui modifie leur réalité, de sorte que ce qui s’énonçait comme problématique ne le soit plus.

Confort du thérapeute

Utiliser ce qui a gêné, ce qui s’est mal passé, tout ce que le thérapeute a mal supporté. C’est mettre à profit son équation personnelle, ce qui fait que le thérapeute est lui-même et ce qui fait son originalité et sa spécificité.

Imprévisibilité

On ne peut pas savoir ce qui a mené à la constitution du problème, et encore moins ce qui permettra de le résoudre. C’est dans le décours du processus qui s’engage que s’ouvriront de nouvelles avenues qui, à leur tour, déboucheront sur des issues imprévisibles.

Mettre en crise

Mettre un système en crise, c’est le mettre dans une situation où il sera forcé d’effectuer des changements soit favorables, et ce sera l’occasion de créations nouvelles, soit défavorables avec le risque d’une dégradation.
Cela peut se faire en dramatisant, en provoquant, en introduisant la confusion paradoxale, mais aussi en recadrant, en supportant, en redéfinissant.
Crise ne signifie pas nécessairement malaise, mais ouverture au changement, même si ceci s’accompagne souvent du malaise de devoir changer ses habitudes.

Le commentaire final

1. La phase familiale

Connotation positive

Connoter positivement le système ou le patient-désigné, c’est souligner ce qu’il y a de positif dans le fonctionnement du système ou dans le comportement du patient. C’est passer d’une définition pathologique de la famille à l’activation de ses compétences.

La méchante connotation positive

Connoter ce qui a gêné de manière positive ; chercher l’aspect positif de ce qui déplaît, de ce qui aurait tendance à être rejeter ou à faire reculer le thérapeute.
« Ce qui m’a le plus gêné, c’est que chaque fois que quelqu’un exprimait de la tristesse, des commentaires critiques apparaissaient ». Guy commence par dire ce qui est déplaisant et en tire comme conséquence la constatation positive en joignant les deux propositions par la conjonction « mais ».

Utiliser ce qui gêne

Rejoint la méchante connotation positive

L’importance du « mais »

Formulation habituelle : + mais –
Connotation positive : - mais +
Cette manière d’utiliser le mais étonne l’interlocuteur en commençant par aborder l’aspect négatif des choses ; il le rend attenttif par ce fait même ; il gagne sa confiance en se montrant honnête, puisqu’il ose dire des choses qui ne sont pas nécessairement plaisantes ; il le laisse avec la connotation positive puisque le mais fait oublier en partie la proposition qui précède.

Travailler avec

Le thérapeute peut s’impliquer personnellement en disant : « j’aime travailler avec les gens qui savent se battre ». Il utilise plutôt le terme « travailler avec » que « faire une thérapie »

2. La phase individuelle :

La pseudo explication

Il faut bien donner une explication sans quoi le thérapeute se ferait questionner. Mais en fait, il ne fait que donner une explication qui n’en est pas une, dans la mesure où elle n’apporte rien que la famille ne sait déjà.
Exemple : face à tentative de suicide d’un aîné de 4 enfants : recadrer son comportement suicidaire comme un comportement d’aîné

La prescription :

Faire une prescription permet de renforcer l’alliance et l’adhésion de la famille au processus.

La famille comme observateur

Leur proposer une expérience à faire afin qu’ils observent leurs comportements.

Des changements minimes et l’importance de l’espacement des séances

Guy Ausloos résume les cinq impératifs qui le guident, quelle que soit la forme de son commentaire dans son commentaire final :

  s’occuper de son confort : en se remettant de la séance ; en les connotant positivement, en se mettant ainsi en situation d’avoir envie de ocntinuer le travail avec eu ;

  leur refléter son opinion : en passant des questionnements aux affirmations, en s’impliquant personnellement ; en leur donnant un contenu qui recadre leur situation ;

  les surprendre ou les étonner : par les recadrages ; la connotation et la prescription ;

  les maintenir actifs : en les impliquant ; en leur donnant une tâche ;

  ne pas les prendre en charge : en mettant de longs intervalles entre les séances ; en les situant comme collaborateurs à un travail

Chaos et complexité

Quelques moyens pour retrouver le chaos :

1. Ne pas viser

2. Lâcher prise

3. Nommer l’innommable

Différents moyens pour utiliser le chaos

1. Intérêt pour le désordre, l’accidentel : Des turbulences pendant la séance (enfant qui remue sans cesse, quelqu’un qui claque la porte, qui laisse tomber son bic,…) sont ressenties comme chaotiques alors qu’elles pourraient devenir des informations qui feraient la différence.

2. Sensibilité aux conditions initiales : Une légère modification de la séance peut entraîner des modifications majeures en fin de séance.

3. Fascination pour les conséquences non prévues : la prescription en systémique ne devrait idéalement ne jamais aboutir au résultat escompté ou prévisible

Préceptes pour activer le processus :

1. occupez-vous du processus, ils pourront s’occuper du contenu

2. N’essayez pas de comprendre : c’est eux qui comprendront ; d’ailleurs comprendre n’est pas résoudre

3. ne cherchez pas à recueillir des informations : ils tiendront d’autant plus à vous les donner ; faites circuler l’information qui est pertinente : celle qui vient de la famille et y retourne.

4. Ne suivez aucune piste : vous risqueriez de passer à côté de celles qui s’ouvrent et qui permettront le changement ; si vous avez l’impression d’en suivre une par mégarde, quittez-la aussitôt ; ils risqueraient de penser que c’est votre hypothèse.

5. posez des questions qui n’ont pas de sens pour vous : elles en auront peut être pour eux ; si vous ne savez pas pourquoi vous posez une question , eux le savent peut-être

6. refusez toute disqualification, blâme ou jugement ; ils ne vous disqualifieront pas non plus

7. méfiez vous de vos hypothèses : ils les ont sans doute faites avant vous ; et cela ne leur a pas permis de changer

8. demandez-leur de l’aide quand vous ne savez plus que faire : cela renversera le jeu qu’ils ont l’habitude de jouer avec les intervenants ; un regard circulaire vous indiquera qui peut vous aider

9. la seule personne que vous pouvez changer, c’est vous ; occupez vous donc de votre confort

10. tout ce qui précède est soumis à la règle suprême de l’honnêteté : ne dites, ne faites ou ne demandez rien que vous ne puissiez avouer ; les mensonges sont bien trop encombrants.

Au lieu de se sécuriser avec les nombreuses bouées de sauvetage que nous avons l’habitude d’avoir à notre disposition, il s’agit au contraire d’accepter l’aléatoire, de s’ouvrir au chaos, de risquer l’événement sans autres armes que notre compétence, notre expérience, notre savoir-être et notre savoir-faire.

Pour risquer tout cela, il faut être particulièrement bien préparé. Il faut lire et relire les textes de base, travailler et retravailler des techniques comme la circularisation, le recadrage, la connotation positive, la neutralité multipartiale, la provocation, le génogramme, le fossé des générations, … Voir et revoir ces propres enregistrements pour y découvrir nos bons coups et pour trouver ceux que nous aurions pu faire.

Processus

Au début, Guy s’est intéressé à comprendre le symptôme comme un message qui nous informait sur le fonctionnement du système au moins autant que sur le fonctionnement de l’individu. Il avait distingué trois niveaux : le niveau sémantique, le niveau syntaxique et le niveau pragmatique et il se posait trois questions : le symptôme montre quoi ? il le montre à qui et selon quelles règles ? Et avec quel résultat ?

Par la suite, il a abandonné la recherche de la fonction du symptôme pour passer au symptôme de la fonction, c’est-à-dire pour lire le symptôme comme le signal d’une perturbation d’une ou plusieurs des fonctions nécessaires à la survie de la famille. Le message que l’on peut déchiffrer dans le symptôme nous informe autant sur l’individu qui en est le porteur que sur le fonctionnement du système et sur le thérapeute-décrypteur qui lui donne un sens.

A côté de cela et avec l’aide de différentes théories, il a été amené à réfléchir à la notion de finalité et à définir le symptôme comme le résultat d’une incompatibilité entre les finalités de l’individu et les finalités familiales au moment de l’émergence du symptôme.
C’est dans cette même recherche qu’il a essayé de mieux préciser le processus qui mène à l’apparition d’un symptôme et c’est ce que je vous résume ci-dessous.

Le processus de désignation

Comme intervenants, nous sommes habituellement confrontés à des symptômes qui nous sont présentés tout emballés, la désignation étant faite, l’étiquetage réalisé, la mise en scène achevée. Mais comment en est-on arrivé là ? Quel est le processus qui amène à la désignation du patient-désigné, à l’isolation de son symptôme, à la pathologisation de la problématique familiale ?

Le processus de sélection-amplification

Si on se détache de la fonction du symptôme mais qu’on considère qu’il n’existait pas au départ, la perspective est toute autre.
Il y avait seulement une famille, avec des difficultés, avec des tensions, avec des stimuli internes ou externes auxquels elle ne pouvait répondre. Un comportement inhabituel va se produire par un membre du système ensuite il va être sélectionné, et être privilégié par les autres membres du système. Il va par la suite se répéter, être amplifié, en partie à la suite des réponses qu’il occasionne, en partie parce qu’il prend un sens particulier pour le porteur de ce comportement et pour les autres membres du système. Au départ, ce comportement n’était qu’un comportement aléatoire qui, dans un premier temps, a été sélectionné par le jeu des interactions, pour être ensuite amplifié par le système, par un mécanisme de rétroaction positive.

Le symptôme ne remplit pas de fonction au moment de son apparition.

Exemple : rien de plus normal qu’un ado s’isole dans sa chambre pour mille et une raison (bouquiner, écouter de la musique, s’adonner au plaisir solitaire, râler, ….).
Si ce comportement est ponctué comme étonnant, bizarre, inquiétant, il commence à devenir un enjeu dans le champ relationnel du système familial. Et c’est parce que les membres du système et le sujet privilégient ce comportement, qu’ils se fixent sur ce symptôme, qu’ils contribuent à fixer ce comportement comme symptomatique

Le processus de cristallisation-pathologisation

Lorsque ce comportement symptomatique se met à remplir une fonction, il commence à entrer dans les modalités organisationnelles du système et à participer à l’économie personnelle du sujet qui devient ainsi patient-désigné. La fonction du symptôme étant devenue partie intégrante du fonctionnement du système, le mécanisme de feed-back négatif protègera le symptôme et visera à empêcher sa disparition.

Conclusion

Si le système a contribué à l’émergence du symptôme, il devrait également pouvoir contribuer à sa disparition.
« Un système ne peut se poser de problème tel qu’il ne soit capable de le résoudre ».