Monique Buisson est chercheuse au CNRS (groupe de recherche sur la socialisation à l’université de Lyon).
Dans son livre, elle cherche à comprendre pourquoi la sociologie n’a jamais construit la fratrie comme objet d’étude à part entière mais s’est contentée de considérer certaines de ses caractéristiques comme des variables explicatives d’autres phénomènes.
La fratrie, creuset de paradoxes. Paris : Editions L’Harmattan (2003).
Sur le sujet de la fratrie voir aussi le livre de Toman
Elle subdivise son ouvrage en huit parties :
1.Pourquoi ce silence ?
Dans cette première partie, l’auteur passe en revue les différentes disciplines relatives aux sciences humaines et y décrit brièvement comment la fratrie y est abordée.
– En mythologie, ce sont la rivalité et l’inceste qui sont le plus souvent associées à la fratrie.
– En anthropologie, c’est la force de structuration du couple aîné/cadet dans les rapports familiaux et sociaux qui est mise en évidence.
– En droit, l’auteur explique qu’à côté du droit conjugal et du droit parental, il n’existe pas, à proprement parler, de droit de la fratrie.
Elle explique que c’est en psychologie que la littérature est la plus abondante et qu’il semble même actuellement émerger un intérêt pour le fraternel, longtemps passé sous silence par la psychanalyse. La fratrie est considérée comme une sorte de brouillon des relations sociales, une matrice où s’expérimentent les relations à l’intérieur d’un groupe. Il s’agit pour chacun des membres de s’y insérer et d’y développer des liens tout en acquérant son individualité. Se construire comme différent tout en étant semblable est le défi à relever pour chacun de ses membres.
L’auteur veut montrer le caractère parcellaire des études qui prennent en compte les frères et sœurs et tente d’en explorer les raisons. Pour elle, il existe des difficultés d’ordre méthodologiques mais aussi théoriques. Dans les chapitres qui suivent, l’auteur explique les difficultés auxquelles sont confrontées les recherches.
2. Des problèmes méthodologiques
Les problèmes de mise en œuvre masquent d’autres freins internes et transversaux aux différents champs des sciences humaines et sociales.
a) Une mise en œuvre complexe
L’auteur explique qu’aucun fichier ne permet de repérer des fratries, d’avoir les coordonnées de ses membres ainsi que de leurs parents. Il est donc nécessaire d’entrer dans le réseau familial par l’un de ses membres. Les relations que cette personne ressource entretient avec les autres membres de la famille peuvent produire des effets d’adhésion ou de refus. L’auteur rapporte avoir tenté cette mise en œuvre avec sept fratries et avoir rencontré des refus de collaboration en raison de rivalités ou de conflits avec le frère ou la sœur qui donne les coordonnées. L’auteur souligne également que les divergences ne semblent pas étrangères aux itinéraires socioprofessionnels suivis par chacun.
b) Une querelle d’échelle d’observation
L’auteur explique que prendre la fratrie comme objet d’analyse confronte aux tensions qui parcourent la sociologie entre les tenants des approches quantitatives et les tenants des approches qualitatives où la question de la représentativité est alors posée. Pour l’auteur, prendre le réseau fraternel comme objet d‘étude implique de se placer à une échelle d’analyse microscopique, lieu des interactions et implique une démarche méthodologique qui consiste à interviewer chaque membre de la fratrie ainsi que leurs parents.
c) Un passage obligé : le regard pluridisciplinaire
Les principales hypothèses qui rendent compte de l’influence de la fratrie sont à la frontière entre le psychologique et le sociologique. Matrice de l’identité, la fratrie conduit à en dévoiler l’entrelacement des deux facettes : identité sociale et identité personnelle. Il convient d’élaborer des cadres conceptuels et méthodologiques permettant de penser les liens entre les deux disciplines tout en gardant leur spécificité.
3. Fratrie et filiation
Le premier enfant fait du couple une famille, le second crée une fratrie. L’auteur se demande comment appréhender la fratrie alors que la famille revêt de nos jours des contours flous et changeants.
a) Frères de sang ou frères de lait
L’auteur s’interroge sur la nature des liens qui permettent d’identifier une fratrie. Dans notre société, ce sont généralement les liens de sang qui sont pris en considération mais il est nécessaire de souligner l’existence d’autres acceptions à travers les époques et les différentes sociétés. Elle explique, par exemple, que dans de nombreuses régions d’Océanie ou de Malaisie, un lien de fratrie déconnecté du génétique mais fondé sur un lien nourricier relie les enfants vivants sous un même toit. Dans l’Europe ancienne, il existait le don d’enfant. Il s’agissait le plus souvent pour la famille de s’assurer une descendance et, pour les parents qui donnaient leurs enfants, d’éviter le partage de l’héritage entre plusieurs enfants et d’assurer ainsi à l’enfant adopté un espoir de promotion sociale.
L’auteur explique que la construction sociale de la fraternité est fondée sur le lien nourricier et sur la réalité effective d’une enfance partagée.
Qu’en est-il aujourd’hui du lien de fratrie dans nos sociétés traversées par les mutations qui touchent les structures familiales ? Le mariage demeurait jusqu’à nos jours l’institution qui fondait non seulement le couple mais aussi la famille et la filiation. C’était, par exemple, le mariage qui donnait le père à un enfant, assignait les places de chacun… Sans être le géniteur de l’enfant, il suffit d’être le mari de la mère pour en devenir juridiquement le père.
Auparavant, la famille, les enfants et le couple étaient indissociables. Le divorce par consentement mutuel et l’autorité parentale conjointe pose la question de ce que devient la famille et surtout la fratrie. Les réponses oscillent entre deux pôles, soit la fratrie est définie par ceux qui possèdent le même géniteur soit elle est considérée comme l’ensemble des enfants qui vivent sous un même toit. L’auteur explique que la réalité semble plus complexe. Car il est évidemment nécessaire de croiser ces deux dimensions. Ces dimensions comportent chacune trois niveaux. Du point de vue de la filiation : les enfants peuvent avoir un de leurs géniteurs en commun, les deux ou aucun. Du point de vue de la résidence, ils peuvent vivre ensemble, séparément ou partager leur temps entre deux logements. Un grand nombre de fratries différentes peuvent donc être identifiées selon les modalités de repérage. L’auteur donne plusieurs exemples de situations familiales qui illustrent cette complexité. Il constate que nous atteignons déjà un très grand nombre de possibilités de fratrie en nous limitant à des situations pourtant très courantes.
L’auteur pose la question de savoir si l’identification à une fratrie ne dépend pas de la façon dont les membres de la famille vivent les situations et si la conscience d’appartenir à une cellule familiale est assimilable à la conscience d’un lien fraternel.
Il s’attarde sur la situation où les enfants n’ont qu’un géniteur en commun : demi-frère ou demi-sœur. Souvent, lorsqu’ils vivent sous le même toit, ils sont reconnus comme appartenant à la même cellule familiale. Les adultes ont tendance à les considérer comme frère et sœur à part entière. Mais pour les enfants, le sentiment d’appartenir à une même fratrie passe par la relation avec le géniteur. Il faut qu’un lien positif subsiste. Eliane, par exemple, exclut de sa fratrie le fils de son beau-père avec qui elle a lié une mauvaise relation.
L’auteur explique également que, selon ses recherches, si chaque cellule familiale est identifiée à partir du lieu de résidence, il n’en est pas toujours de même pour le lieu de fratrie qui, transversal à plusieurs cellules familiales, peut subsister lorsque les enfants possèdent le même géniteur. Mais ce n’est pas toujours le cas, comme en témoigne l’exemple de Rémi, qui refuse de considérer son frère consanguin comme un frère, car il ne reconnaît pas le père biologique qui les a abandonnés, sa mère, sa sœur et lui, comme étant son vrai père.
L’auteur insiste sur le fait que les contours que l’enfant donne à sa fratrie dans les situations de recomposition familiale intègre de nombreux facteurs : le fait d’avoir ou pas subi une séparation parentale, l’âge des enfants, leur vécu, la force et la qualité du lien établi avec le parent non cohabitant et avec les conjoints, les écart d’âge entre les enfants des différentes unions, le type de remaniement introduit dans les statuts et rôles et dans la dynamique oedipienne, la distance des divers lieux de résidence… Il apparaît que c’est davantage le fait d‘avoir une histoire de vie commune, des expériences partagées qui dans une situation de recomposition instaurent les contours de la fratrie. L’auteur explique également que la naissance d’un enfant engendré par le nouveau couple apparaît comme un vecteur d’intégration de l’ensemble des enfants.
Selon les recherches de l’auteur, ce sont les relations affectives qui tissent le lien fraternel. Certains enfants qui cohabitent sans ascendant commun se considèrent comme frère et sœur.
L’auteur mentionne également que lorsque le lien de sang n’existe pas, les parents réintroduisent des interdits liés au lien biologique, comme l’interdit de l’inceste.
b) Le lien fraternel : un lien contractuel ?
L’auteur explique que l’évolution des structures familiales serait en partie liée aux valeurs montantes de l’individualisme dans l’ensemble des relations sociales et familiales. Le lien social et familial serait prioritairement défini par une autonomie croissante des individus vis-à-vis des contraintes sociales et institutionnelles. L’auteur rappelle que, même si la qualité et l’intensité des liens qui se nouent entre frère et sœur dépendent en partie de choix personnels, la fratrie, naturelle ou recomposée, est toujours le produit d’une contrainte fixée par des adultes.
4. Fratrie et transmission
La fratrie est le lieu par excellence de la transmission entre générations. Transmission de biens matériels et symboliques (culturels, relationnels, affectifs). Pour l’auteur, ces différents contenus de la transmission seront convertis en pratiques sociales et en itinéraires socioprofessionnels par chaque membre de la fratrie.
C’est à travers l’héritage, la succession de l’entreprise parentale ou le statut socioprofessionnel que les recherches ont tenté de montrer les modalités selon lesquelles s’effectue la transmission. Mais ces approches étudient de manière partielle la répartition entre frère et sœur.
a) Fratrie et héritage
En France, les enfants ne peuvent être entièrement déshérités. Mais certains peuvent être favorisés au détriment d’autres. L’appréhension du phénomène reste d’ailleurs très partielle. Car, d’une part, la moitié des décès n’est pas suivie de succession et, d’autre part, les dons antérieurs au décès y sont rarement pris en compte. Mais, quant il y a inégalité, elle favorise plus souvent un enfant qu’elle n’en défavorise un seul (souvent reprise de l’entreprise).
De la part des défunts, il y a différentes raisons au partage inégalitaire. Souvent, le but est de corriger les disparités de revenus entre les enfants ou de payer la prise en charge des parents durant la vieillesse en favorisant l’héritier qui l’a assumée. Ce ne sont pas toujours les parents qui impulsent un tel partage, les enfants peuvent en être les initiateurs.
Aussi, un partage égalitaire peut être jugé inéquitable par les protagonistes. Le bien est indissociable de ce que chacun estime avoir reçu ou donné tant dans la verticalité des relations (enfant-parent) que dans l’horizontalité (frère-sœurs).
L’auteur insiste sur le fait que la transmission matérielle s’encastre dans la dynamique des liens tant intergénérationnels que collatéraux.
b) Fratrie et succession
L’auteur fait la distinction entre l’héritage et la succession. La succession revêt le sens de prendre la place laissée par une personne dans un emploi et de perpétuer son œuvre. Mais être le successeur du père par exemple, ne signifie pas être le seul héritier. L’auteur donne plusieurs exemples de succession dans la France rurale qui illustre ce propos.
Ainsi, la dynamique des relations intergénérationnelles autour de la transmission du patrimoine est modulée par le calendrier des naissances, par le type de répartition des sexes à l’intérieure de la fratrie, par le statut matrimonial et par les modalités de distribution du statut de travailleur indépendant des parents. Ces différents éléments nuancent ce qui pourrait être qualifié de droit d’aînesse.
L’auteur passe en revue les différents modes de transmission du patrimoine chez les éleveurs selon les régions et le type d’exploitation en France. Elle précise que le patrimoine ne se limite pas à des biens mais aussi à tout un savoir. Le choix des parents fait un élu et des exclus. Le successeur se considère-t-il comme avantagé ? La réponse est complexe. Les autres peuvent utiliser l’héritage comme ils le souhaitent, le successeur ne peut vendre sans être taxé de désaffiliation. Pour les parents, les enfants qui font des études sont considérés comme privilégiés et le successeur comme valorisé. L’auteur interroge le vécu de certaines familles et donne quelques exemples qui illustrent ce propos.
Choisir un successeur, c’est remettre en question la sacro-sainte égalité des enfants. Souvent, dans le discours, les parents transforment la situation d’élu en situation de soumission et d’aliénation accompagnée parfois d’un discours de dévalorisation : « c’est celui qui ne savait rien faire d’autre, mauvais élève… ». Ils peuvent aussi attribuer à l’enfant une aptitude quasi-génétique : « il avait ça dans le sang ».
L’auteur pose également la question de la comparaison entre le statut social du repreneur et celui atteint par la fratrie et la question de l’équivalence ou non de l’héritage reçu par chacun. Les itinéraires des autres membres de la fratrie reproduisent-ils une position sociale équivalente ?
L’auteur pose ici de manière globale la question de la diversification des parcours socioprofessionnels de l’ensemble des membres d’une même fratrie.
c) Fratrie et itinéraires sociaux
Prendre place dans sa famille revêt un sens particulier pour celui qui reprend l’héritage du patrimoine professionnel. La place que chacun prend dans la famille sera évaluée à l’aune des itinéraires socioprofessionnels des enfants confrontés à ceux de leurs parents . Les enfants reproduisent-ils le statut social des parents ? Les itinéraires signent-ils une mobilité ascendante ?
L’auteur explique que, d’après ses recherches, la réponse à ces questions trouve sens à partir des caractéristiques liées à la fratrie elle-même, de ses membres ou en termes de partage de l’avenir social de la famille.
Caractéristiques de la fratrie et diversification des itinéraires
L’auteur explique que l’influence de la fratrie sur la réussite scolaire a rarement eu sa place dans les travaux sur l’égalité des chances. Cependant, la taille de la fratrie, le rang de naissance, le sexe, les écarts d’âge ont été pris en compte par plusieurs auteurs dans l’analyse des itinéraires sociaux. Il se dégage de ses différents travaux que les variables caractérisant les fratries sont rarement indépendantes d’autres variables liées au statut social des parents ainsi qu’à la présence d’activité professionnelle chez la mère.
L’auteur explique, par exemple, qu’il existe un lien entre la taille de la fratrie et la mobilité sociale des enfants. L’avantage des familles restreintes en matière de chances sociales perdure, cet avantage étant limité pour les familles de cadres. Les explications sont d’ordre économique, liées aux activités de la mère et au temps dont disposent les parents pour soutenir leur enfant.
L’auteur explique également que, d’après certaines études, les filles aînées font en moyenne plus d’étude que les cadettes et que la proportion de cadre parmi les aînés est nettement plus forte.
L’avenir social de la famille : un héritage partagé au sein de la fratrie
Frères et sœurs se partagent la gestion de l’avenir social de la famille. Toute famille a pour objectif implicite de se continuer à travers les générations, de se consolider, de maintenir voir améliorer sa position sociale. La place de chacun renvoie à celle de l’autre. La gestion de cet avenir social passe par l’orientation scolaire et professionnelle.
Pour comprendre pourquoi tel enfant s’oriente vers tel métier, il est important de prendre en compte les choix professionnels de tous les membres de la fratrie, les trajectoires des parents avec les projets réussis, ceux abandonnés, ainsi que les professions des grands-parents ou de l’environnement social. Un subtil équilibre s’établit à l’intérieur de la fratrie pour permettre aux parents de réaliser, au travers de leurs enfants, leur reproduction, tant sociale que psychologique, et leur désir d’ascension sociale. Les parents répartissent sur chacun de leurs enfants les différentes dimensions de leur propre trajectoire.
De nombreux témoignages viennent illustrer ces propos.
5. Idéologie du traitement égalitaire
L’idéologie du traitement égalitaire des enfants d’une même famille demeure prégnante tout en restant démentie dans les faits.
a) Une égalité prônée mais démentie dans les faits
Selon les recherches de l’auteur, le plus souvent, chacun attribue à l’évolution et aux aléas de la vie ce qu’il a ressenti comme traitement différencié à l’intérieur de la fratrie, reconnaissant que les parents ont fait pour leurs enfants ce qu’ils ont pu. Les parents évoluent avec le temps, leur âge, leur situation matérielle, économique, professionnelle. Cependant, certain exposent clairement avoir ressenti comme volontaires des avantages accordés à certains.
L’auteur donne de nombreux exemples à travers les fratries qu’il a interrogées. Les attentes implicites des parents varient selon le sexe. Les parents, dans leur majorité, tentent sans doute de traiter leurs enfants selon ce qui leur paraît le plus juste pour chacun en fonction de ses caractéristiques propres. Ainsi, un traitement perçu comme inégalitaire dans la fratrie est parfois susceptible d’obéir pour les parents à un principe d’équité.
b) Une idéologie qui reste prégnante
Malgré les constats de l’impossibilité de mettre en œuvre un principe d’égalité dans les modalités de traitement à l’intérieure d’une fratrie, l’idéologie égalitariste demeure prégnante de nos jours.
6. Entre reproduction sociale et individualisme
Si la famille est un lieu de reproduction des statuts sociaux et des inégalités qui en découlent, elle assure dans le même mouvement une fonction de conservation de l’ordre social, économique et politique. Mettre l’accent sur le principe de stricte égalité entre frères et soeurs renforce ce paradigme. Egalitaire, la fratrie conserve une homogénéité des caractéristiques sociales d’origine confortant ainsi les analyses qui parlent de déterminisme social. Considérer la fratrie comme objet d’étude interroge ce paradigme.
L’auteur explique que c’est surtout une forme de mobilité qui a retenu l’attention des sociologues : c’est la mobilité entre générations qui étudie la position d’origine des individus (incarnée par le père) et leur propre position. Ces études concluent que les ouvriers sont en majorité des fils d’ouvriers, les cadres, fils de cadres… L’auteur note que ce constat laisse dans l’ombre les individus qui se situent dans les marges de la tendance lourde. De plus, le point de départ est toujours le fils et jamais le père pour étudier les destinées sociales de leurs enfants.
L’auteur pose aussi la question de savoir s’il n’est pas réducteur de résumer la position d’une personne à sa seule appartenance à un statut socioprofessionnel. Au niveau individuel l’acquisition d’un statut social repose sur trois facteurs : l’éducation (et le niveau d’étude), la profession et le revenu. De plus, de nombreuses variables interfèrent sur la congruence de ce statut, comme par exemple, le sexe, le mariage, les relations sociales…
Pour l’auteur, étudier les trajectoires des membres d’une fratrie, c’est traiter les fratries comme des ensembles configurationnels au sein desquels la trajectoire propre à chaque membre de définit en rapport avec celle des autres membres.
7. Fratrie et lien social familial
L’auteur explique que la manifestation concrète du lien dans la sphère familiale s’exprime par les relations établies entre les membres et par les aides et solidarité échangées. Pour lui, en ce qui concerne les fratries, elle s’exprime à deux niveaux : intergénérationnel et intragénérationnel.
a) Echange et solidarité
L’auteur explique qu’aucune étude n’a jamais pris en compte l’ensemble de la fratrie, qu’il s’agisse d’étudier des échanges entre frères et sœurs ou de ceux-ci avec leurs parents. Les études existantes ont retenu, le plus souvent, le sexe ou l’ordre de naissance comme variable explicative des échanges et solidarité.
La dimension verticale
Le soutien envers les parents est le plus souvent naturel mais légalement institutionnalisé par le biais de l’obligation alimentaire. D’après les études analysées par l’auteur, l’engagement identique de tous les frères et sœurs auprès des parents n’est pas la règle. En effet, l’aide domestique reste largement une affaire de solidarité entre sœurs. L’auteur note également que l’éloignement géographique excuse aisément le désengagement d’un membre. Souvent aussi, être dernier-né et avoir cohabité avec les parents prédispose à l’aide dans les vieux jours. En ce qui concerne l’aide financière, l’égalité n’est également pas de mise. Le sexe semble ici jouer en sens inverse de celui observé dans l’aide matérielle, les dispensés sont souvent des filles.
Si l’aide apportée aux parents semble le plus souvent faire l’objet d’un consensus, il n’en demeure pas moins qu’il puisse générer des rancœurs, voire des conflits. Pour comprendre ces situations, il faut les restituer dans une dynamique intergénérationnelle. Des études montrent combien les enfants sont plus enclins à aider leurs parents si ceux-ci ont dispensé aides et soins à leurs propres enfants. De même, la prise en charge des parents âgés est plus fréquente par les enfants qui estiment avoir reçu une aide de leurs parents.
La dimension horizontale
L’auteur explique qu’il n’existe quasiment aucune étude sur la solidarité et les échanges dans l’ensemble d’une fratrie. Dans l’ancien droit, la méfiance, la rivalité et l’absence de cordialité prédominaient dans les rapports fraternels. Laissés de côté par le droit en matière d’héritage, les frères et sœurs ne sont aujourd’hui soumis à aucune contrainte légale en matière d’obligation alimentaire des uns envers les autres. Le devoir d’entraide est purement moral.
Plusieurs études mettent en évidence la place des femmes dans les échanges horizontaux. On note par exemple, au sein d’un couple, une plus grande fréquence des relations avec la fratrie de la femme. Une plus grande fréquence des contacts entre sœurs semble aller de pair avec une intensité plus forte du lien affectif entre sœurs.
L’auteur relève également que les relations d’entraide portent peu sur l’argent. C’est l’hébergement temporaire qui apparaît le plus souvent. Il note également que selon une étude, la moitié des personnes interrogées n’attendent aucun soutien de leurs frères et sœurs.
Lorsqu’elles sont bonnes, les relations entre frères et sœurs sont rarement qualifiées d’amitié (plaisir d’être ensemble, attirance réciproque, confiance). Elles sont souvent la transposition d’une relation de type parent/enfant ou d’une alliance contre des carences parentales. Des soutiens se mettent en place à l’occasion de circonstances particulières (décès, divorce, …). Il s’agit souvent de soutiens de femmes. Mais l’aide s’effiloche parfois…
Dans les familles, ce sont les conflits à l’intérieur d’une génération qui sont les plus fréquents : conflits autour de la transmission de l’héritage, de la différence des destins sociaux (ouvert par les études ou relatives aux alliances contactées).
Très souvent les rencontres entre frères et sœurs sont corrélées avec celles des parents. Le décès des parents entraîne donc une distension dans les relations fraternelles.
b) Le lien social fraternel
L’auteur a esquissé à plusieurs reprises combien ce qui se joue entre frères et sœurs s’avère en relation avec la dynamique des liens familiaux et notamment avec ce qui lie chacun des enfants à son père et à sa mère.
Chaque enfant est redevable de sa propre existence. Si l’héritage symbolique et matériel transmis le satisfait, l’enfant s’estime reconnu et accepté et se sent redevable envers ceux qui lui ont donné la vie. Il quitte la position de celui qui reçoit pour celle de celui qui donne.
L’auteur explique que les frères et sœurs sont les premiers tiers rencontrés par l’enfants pour entreprendre un travail d’interprétation de l’héritage. Par comparaison des représentations que chacun a de ce qu’il reçoit et de ce que reçoivent ses frères et sœurs, la fratrie est le lieu où s’initie et s’expérimente une distanciation vis-à-vis de ce que donne les parents. Les relations entre frères et sœurs en sont bien sûr grandement influencées.
L’auteur expose quatre cas de figure possible :
Avoir plus reçu :
Le sentiment d’être redevable envers ses parents est en quelque sorte transféré sur la fratrie.
Avoir moins reçu
Le sentiment que le frère ou la sœur est plus aidé, favorisé, voir mieux aimé peut faire prendre conscience du manque et susciter une insatisfaction. Si une personne se sent lésée, elle ne s’estime pas redevable envers ses parents, sentiment qui n’est pas sans retentir sur le lien fraternel.
Avoir plus donné
Eprouver le sentiment d’être celui qui, dans la fratrie a le plus donné aux parents et le moins reçu de ces derniers peut faire que l’intéressé impute à ses parents une dette envers lui, dette qui sera étendue à l’ensemble des frères et sœurs et viendra ciseler le lien fraternel.
Avoir autant donné que reçu
Les aides et solidarités ascendantes peuvent se comprendre comme un retour de ce que chaque membre de la fratrie estime avoir reçu de ses parents.
L’auteur donne l’exemple d’une famille où ce qui est donné et reçu est perçu par tous comme fort équitable tout en échappant à toute comptabilité. Ce que l’un donne à un moment, l’autre le donne à un autre moment sous une autre forme. Ce cadre d’expression semble produire une très grande proximité dans les relations et des solidarités très fortes dans la fratrie.
8. Du lien fraternel au lien social
L’auteur explique que pour elle, la socialisation est considérée comme un processus interactif et permanent du lien social comme ce qui intègre et oppose, normalise et différentie.
Elle opère sous la forme d’échanges, de négociations, de conflits, d’ajustements qui engagent en particulier des enjeux identitaires. S’il s’agit d’un processus inscrit dans le temps et dans les interactions entre divers cercles sociaux, alors la fratrie peut-être considérée comme un berceau de la socialisation où s’initie la construction du lien social.
Cette construction met en jeu ce que chacun reçoit et donne dans la verticalité du lien comme dans l’horizontalité. L’auteur insiste sur le fait que cette construction n’échappe ni aux ruptures engendrées par les évolutions de structures, des emploies ni aux conflits de légitimité entre divers capitaux culturels, économiques ou symboliques.