Le recadrage
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Le [recadrage] est la redéfinition de la part du thérapeute d’une situation, d’un comportement en mettant d’autres mots sur les mots issus du discours familial.
Le but est de remanier le problème de manière à le rendre soluble et non à le minimiser. Le thérapeute doit introduire un éclairage nouveau en s’étayant sur des éléments obtenus dans le discours de l’entretien.
Chacun joue un rôle spécifique dans un scénario familial et la distribution de ces rôles s’est faite le plus souvent à l’insu des uns et des autres. Un système rigide s’installe. Lorsque certains membres de la famille souffrent, des symptômes apparaissent.
Chaque génération passe à la suivante une partie de ce qu’elle a reçu. Ce qui n’a pas été pris en charge essaye de l’être par la génération suivante, ce qui perturbe la vie familiale. Une des spécificités de la thérapie familiale consiste à entrevoir le système qui s’est installé entre les membres, leur donnant des fonctions étroitement complémentaires et les enfermant dans une circularité pathologique (s’accuser mutuellement d’être responsable d’une situation pathologique). Le problème est de sortir de ce processus dans lequel deux personnes (ou plusieurs) sont entrées, fortes de leur certitude de se sentir chacune victime de l’autre.
Pour sortir de ce cercle, il faut les reconnecter à leur passé et permettre ainsi de nouvelles options pour le futur. Souvent ceux qui souhaitent transformer le scénario doivent se heurter aux résistances des autres. Les membres de la famille ne veulent pas changer le fonctionnement qui a sauvegardé l’équilibre du groupe jusqu’à maintenant et préservé ses membres de souffrances refoulées. Ils sont incapables de tolérer les phases de désorganisation nécessaires au passage d’un stade du cycle évolutif au suivant. Plus une relation doit répondre à une démarche de sécurité plus fort est le lien et plus grande est la menace chaque fois qu’une situation le met en cause. On tend alors à réagir avec agressivité si quelqu’un le met en péril.
Pour [Nagy] : « Toutes les personnes connectées sont exposées aux conséquences qui, à long terme, constituent un lien relationnel spécifique. » Quand on a affaire à un couple, il faut se demander si chacun recherche et stimule chez son partenaire des aspects authentiques de façon à établir une relation mutuelle ou si la relation est appesantie par l’exigence de compenser un rapport parental (et filial) qui ne s’est pas développé harmonieusement. Le « comportement logique » de chacun a alors une fonction essentielle qui passe inaperçue aux yeux des deux partenaires : il maintient l’autre dans sa croyance. Pour M. Elkaïm : « Il ne suffit pas qu’un membre d’un couple invite l’autre à danser, il faut que l’invitation rencontre une fragilité ou une sensibilité chez l’autre. L’expérience répétée qu’il a eue de son passé ne peut que survenir encore et encore. L’expérience montre qu’il suffit que le thème proposé n’éveille chez l’autre aucune fragilité particulière pour que le contexte affectif prenne une autre direction. Les croyances profondes de quelqu’un ne sont pas des convictions inébranlables, elles expriment plutôt la crainte de souffrances renouvelées. »
Attitudes du thérapeute
Le thérapeute est celui qui par sa présence et par le discours qu’il tient, par la nature de ses interventions, ouvre l’espace relationnel et permet de sortir d’une relation pathologique. Il doit assurer des murs solides qui délimitent un espace souple. Dans cet espace peuvent être mises en scène les angoisses et les craintes actuelles qui s’étayent sur les problèmes du patient mais aussi des angoisses et des craintes plus anciennes qui, bien qu’elles proviennent d’autres relations, pèsent sur les relations actuelles et, en un certain sens ,modèlent les relations à venir. Dans cet espace, il est possible de se déplacer de l’un à l’autre, d’une génération à la précédente ou à la suivante. Le thérapeute ne se ligue pas avec l’un contre l’autre, mais il s’allie à chacune des personnes, avec l’une et avec l’autre. Il doit comprendre le « monde » de chaque membre et se glisser en partie « sous sa peau » , découvrir à quelles conditions chacun est prêt à affronter les risques que comporte la transformation du groupe familial.
[M. Andolfi] insiste sur le « [joining] » comme démarche fondamentale pour le succès de la thérapie. Il s’effectue essentiellement dans une relation avec l’individu qui fait office d’intermédiaire avec le reste de la famille ; cet individu peut être tour à tour l’un ou l’autre des participants. Le thérapeute accompli un perpétuel va et vient entre l’individu et le groupe. À travers l’émotion, les sentiments, les silences, il réussit à parler à toute la famille car il sait relever les éléments qui peuvent être partagés par tous les individus de cette famille.
Principes de la reformulation.
– Reconnaître les sentiments formulés par le patient.
– Laisser le patient développer son point de vue (c’est le seul moyen de savoir comment il éprouve un sentiment, une situation.)
– Accepter le contenu subjectif de ce que le patient vient de dire.
– Définir la situation avec d’autres mots. Si le thérapeute se trompe il y a un désaccord du patient sur la reformulation. Le patient s’explique de nouveau et le thérapeute a à nouveau la possibilité de réussir son effort de compréhension.
Tout ceci suppose que le patient est considéré comme la personne la plus au courant du problème.
Objectifs de la[reformulation]
Comprendre un comportement, c’est comprendre les significations des choses et les restituer dans l’ensemble du vécu du sujet. Le patient est prisonnier de sa réflexion, il rumine. En partageant ses pensées, ce qu’il a dit lui revient de l’extérieur. Si le thérapeute a une intuition fine, il a la capacité de tirer au clair ce que le patient dit souvent d’une manière confuse et inorganisée. Il voit apparaître un sens nouveau aux mêmes données subjectives.
En se sentant reconnu par le thérapeute, il apprend à moins se défendre, il admet plus ce qui se passe en lui. Le patient est entraîné à expliciter davantage ce qu’il a à dire à partir de cette clarté nouvelle. Il reconnaît non plus ce qu’il vit actuellement mais, au-delà, une tendance chronique de sa manière d’être au monde, de percevoir, de réagir. En prenant conscience de cela, il pourra évoluer vers une meilleure adaptation, dans une perception authentique du présent compris par lui-même et non plus vécue comme une répétition permanente du passé.
Chaque fois que la famille accepte d’ouvrir de nouvelles crises interpersonnelles, en participant au projet thérapeutique qui tend à amplifier le problème et à en redéfinir les frontières, on obtient une rémission des symptômes qui avaient suscité la demande de thérapie.
Conclusion
Au niveau familial, les gens sont pris dans des relations où ils ne peuvent éviter des tensions incessantes qu’en acceptant le rôle qu’ils y jouent eux-mêmes. C’est la conquête de leur capacité à modifier les règles du système où ils vivent qui peut permettre à tous les membres de la famille d’accéder aussi au changement. Il faut prendre dans la course de relais un autre témoin que celui que tendent les parents. Ce processus doit s’enclencher, si possible, dans une alliance avec les autres membres de la famille pour éviter l’immobilisation. Il ne s’agit pas tellement de savoir qui à tort ou raison. D’après [Murray Bowen] (un des fondateurs de la thérapie familiale) : « Il faut arriver à dire « oui » sans rancoeur et « non » sans culpabilité afin d’arriver à une différenciation réussie. ». L’espoir de dépasser la répétition se heurte aux peurs. Peur de revivre les expériences douloureuses. Or, c’est seulement en s’y exposant que les données du problème pourraient être modifiées radicalement, apporter une solution inattendue et créer une situation nouvelle où la paix peut ressurgir entre les partenaires.
Au niveau thérapeutique, les sentiments qui naissent chez le thérapeute deviennent des indicatifs des ponts spécifiques qui sont en train de se constituer entre les membres de la famille et lui. « Un symptôme a une fonction et un sens par rapport à un système, de même les sentiments qui naissent chez le thérapeute ont une fonction et un sens par rapport au système thérapeutique. » Si le thérapeute suit le sentiment qui naît en lui, il doit en vérifier l’écho chez les membres de la famille afin d’être sûr que ce qu’il vit n’est pas plus lié à son histoire.Ceci pour ne pas créer un système où « plus cela change, plus c’est la même chose ». Si ce qu’il vit s’applique aussi aux membres de la famille il aura alors découvert un terrain où il pourra travailler en sachant que malgré l’aspect semblable des croyances de chacun, les éléments de son passé sont différents de ceux de la famille. M. Elkaïm insiste sur les éléments de résonance entre thérapeute et famille (résonances = situations dans lesquelles différents systèmes humains semblent entrer en résonance sous l’effet d’un élément commun).
Le thérapeute unit pour séparer. Il re-parcourt les chemins qui conduisent des relations actuelles aux relations passées avec les familles d’origine, fait émerger les liens de dépendance et les affinités là où n’apparaissent que différences et absence de communication. C’est rendre à la lumière « la trame absente » et identifier les fils réels ou imaginaires qu’il faut séparer. Dans une certaine mesure cela équivaut à assigner à l’histoire passée de la famille une signification différente et à tracer l’ébauche d’une histoire nouvelle.