Le savoir d’expérience

Dans la rencontre clinique, le client qui vient consulter est demandeur d’un mieux-être quant à lui-même et ce qui le préoccupe. Il croit venir "en aveugle" sur lui-même et ce qui lui pose problème.

Le thérapeute est mis en situation d’en apprendre lui aussi davantage, de se rendre moins aveugle sur la situation et sur lui-même dans sa fonction d’intervenant. Qu’est-ce qu’on y fait, qu’est-ce qui fait avancer les choses ?

Au sein de la pratique psychothérapeutique, les intervenants développent des compétences ; des capacités à agir dans une grande variété de situations, des aptitudes, un savoir-être, un savoir-faire et théorique, un savoir d’expérience. Le savoir d’expérience fait appel à la notion de connaissance, dans le sens d’une information qui fait sens dans l’intersubjectivité des partenaires (savoir ou vécu émotionnel partagé) et à la notion de changement, ce qui a fait évoluer le système avec quelque chose qu’on ne savait pas. Les nouvelles expériences sont élaborées au travers des concepts disponibles, concepts qui seront modifiés ou adaptés à la lumière des expériences. Le savoir d’expérience, c’est l’éprouvé dans la coconstruction, c’est ce qui surgira de nouveau de la rencontre avec le système consultant ; cela implique un vécu d’étonnement, un effet de surprise dans le moment présent, une procédure par essais et erreurs ponctuée de feed-backs.

Contrairement au savoir théorique (savoir émergent au contact des auteurs, des livres), le savoir d’expérience présente la spécificité d’émerger au contact du client, dans un savoir co-construit avec le système demandeur, à partir de l’expérience de terrain ou rencontre. C’est l’apprentissage par le ressenti. On se place du point de vue de l’expérience vécue, du ressenti de part et d’autre, de ce qui appartient à un moment d’expérience commune, qui fera émerger un éclaircissement sur la(les) situation(s) des thérapeute et patient dans la dynamique en cours. Relater le comment la transformation s’est opérée. Ce qu’il a été intéressant de faire pour "débloquer" la situation : qu’est-ce qui s’est passé dans l’échange, la position relationnelle du patient qui a, par là-même, modifié l’expérience professionnelle de l’intervenant (expérience = ce qui a affecté la compétence du thérapeute) ? Il est nécessaire d’avoir le feed-back du patient pour le savoir et de s’interroger sur sa propre intervention dans le système.

C’est également différent du simple cumul de connaissances-recettes sur le "comment" faire devant telle ou telle situation. Dans le savoir d’expérience, le bilan des techniques inclut le "possible" du patient, pas seulement les possibles des thérapeutes. Cette position permet également d’échapper au jugement de "réussite versus échec" de l’action du thérapeute, car elle inclut le sens de l’acceptation ou du refus du patient.

Le travail du savoir d’expérience requière de souscrire à une position d’apprentissage

  • sur soi : quelle est l’action et la place que l’on se donne dans le système thérapeutique ? Quelle distance prenons-nous dans ce que nous vivons avec nos clients ? Il s’agit ici de développer la connaissance de soi pour ce qui concerne son mode propre de résolution de la place du thérapeute dans le système.
  • sur le contexte : dans quel type de contexte professionnel l’intervenant s’inscrit-il ? Est-ce un contexte où le savoir d’expérience est reconnu , une organisation apprenante ?
  • sur les modèles, systémiques ou autres, qui donnent le cadre de lecture de nos expériences de terrain ;
  • sur le partage des savoirs professionnels ; que fait le thérapeute avec ses connaissances, il s’en sert pour quoi ? pour établir sa position dans l’équipe ? pour asseoir sa légitimité professionnelle ? Ou pour échanger des ressources ? Un savoir échangé ne diminue pas mais au contraire s’accroît à mesure qu’il est partagé. Le sens est d’élargir plutôt que de rétrecir. La transmission du savoir d’expérience est proposée par le biais de la vignette de savoir d’expérience, relation écrite (pour la formalisation et la trace) et codifiée (pour la communication). Le partage du processus de connaissance mène à la constitution d’un réseau de professionnels, à la création d’un réseau d’échanges permettant de se forger une identité professionnelle.