Première Partie
Rituels
Le mythe peut se définir comme un ensemble de croyances qui permet à chacun de se distinguer des autres qui ne font pas partie de la famille et de se reconnaître entre soi. Il est une représentation partagée par les membres du groupe lui-même comme ensemble et de ses relations au monde → engendre des règles de fonctionnement, c’est-à-dire des convictions sur les rôles que chacun doit prendre dans la famille, ce qui donne des informations sur le mythe, qui n’est qu’involontairement ou indirectement dévoilé. Il faut néanmoins faire attention à ne pas confondre le mythe avec les normes, les règles (par exemple, « Dans ma famille, on respecte les parents », ou encore « Dans ma famille, on doit faire des études », qui sont plus de l’ordre de la norme).
Ce qui importe dans un groupe, c’est l’idée qu’on s’en fait. Un groupe, c’est l’idée d’un groupe. Ce qui maintient la famille, c’est l’idée de la famille, c’est-à-dire le mythe familial et son complément, le rituel.
Le mythe se situe plus du côté du langage, même s’il est du domaine du non-dit. Le rituel est quant à lui dans l’acte, et l’accès y est plus aisé. En consultation, on peut discuter le bien fondé des rituels, mais jamais celui de la croyance mythifiée.
Ce qui caractérise un rituel, ce n’est pas tant sa forme que sa fonction, qui est de renforcer le sentiment d’appartenance au groupe. La famille est bien un groupe d’appartenance, dont l’entrée est caractérisée par des rituels (baptême, nomination, ressemblances familiales soulignées, etc.). Le maintien des enfants dans cette appartenance est assuré par la transmission du mythe familial. Les rituels sont les vecteurs de cette transmission. L’appartenance à une famille à plus à voir avec la participation à des rituels qu’avec les liens de sang ou même légaux.
Les familles rigides (avec personnes étiquetées psychotiques, anorexiques, toxicomanes, etc.) sont caractérisées par leurs convictions selon laquelle les liens d’appartenance ont une importance vitale. Si les liens sont menacés, les familles peuvent se rigidifier et s’organiser autour d’un patient désigné.
Deuxième Partie
« Tu es un génie »
Le processus de désignation fait d’un sujet dans un groupe familial à la fois le problème et la solution. Le problème car il s’agit d’un sujet d’inquiétude, une solution car cela favorise la solidarité du groupe, la cohésion. Il existe des formes de désignations passagères mais également des formes plus rigides (familles anorexiques ou psychotiques par exemple). Ce processus de désignation aura des effets divers, ca peut être le génie, ou la psychose, ou autre chose encore. La psychose, comme le génie, représentent les efforts d’un groupe familial qui se considère comme exceptionnel (mythe) pour dépasser la loi commune.
A travers l’étude des familles de personnes considérées comme génies, l’auteur se penche sur cette désignation et en émerge quelques idées intéressantes : Une lecture systémique ne peut être simplement descriptive (c’est-à-dire correspondre à une seule compréhension). Elle repose sur des hypothèses qui prennent en compte des corrélations, des redondances que peuvent faire apparaître des lectures causalistes (linéaires ou circulaires). Le modèle systémique inclut les modèles causalistes et poursuit au-delà en formulant des hypothèses, c’est une modélisation dynamique où la question du temps est prise en compte.
Exemple :
– Description causaliste linéaire = le fils est ainsi car le père est comme cela.
– Description causaliste circulaire = le fils y trouve un intérêt de par le mythe qui les possède et cela renforce les comportements du père.
– Lecture systémique = l’effet de la désignation est que la famille pare à une crise, liée à des événements banals, en fonction de leur mythe selon lequel ils doivent être hors du commun. Le fils occupe telle ou telle fonction parce que telle autre est occupée par sa sœur, son frère, son père, sa mère, … Ce qu’ils montrent, c’est une forme de solution qui a nécessité cette distribution.
⇨ Il n’y a pas d’individus dans un système, même pas des éléments mais des fonctions, occupées par des éléments, fonctions qui sont spécifiques du système ou de la nécessité du système de maintenir son identité. La place de génie est donc une fonction à occuper et n’a pas a priori de destinataire particulier.
Point de vue des incidences thérapeutiques, la position des thérapeutes est souvent de considérer le mécanisme de désignation de manière négative. Il propose une alternative : préserver le mécanisme et transférer son contenu. Pourquoi pas le génie plutôt que la psychose ? Plutôt que d’essayer de banaliser ces familles (nous n’y parviendrions pas), modifions la nature de la désignation.
Troisième Partie
Le temps
L’auteur propose ici une solution afin d’éviter le moment où l’on se dit que c’est trop tard, ou qu’on aurait du faire ceci ou cela (moments où l’on retrouve de vieux fantasmes, d’anciens désirs d’être parfaits, tout-puissants) : anticiper. Il propose de penser en trois temps (parallèle avec les jeux stratégiques) :
– Temps du regard,
– Temps de comprendre,
– Temps de l’action et de l’énoncé.
⇨ Plusieurs temps logiques dans une interaction, séparés par des temps d’arrêts nécessaires. L’anticipation de ces temps logiques est déterminante dans le travail systémique, on ne parle pas du contenu de l’interaction, qui lui reste imprédictible. Les alternatives logiques à un ou deux temps n’offrent dans ce sens guère de possibilité.
Exemple : Une patiente se tait et son silence se prolonge de séances en séances.
Première possibilité = Ne pas y attacher d’importance, laisser le silence s’installer dans un temps figé (logique en un temps).
Deuxième possibilité = Tenter de faire parler par provocations, incitations, toutes manœuvres qui, surtout si elles se montrent efficaces, risquent d’enfermer la relation dans une logique à deux temps, redondante (au silence de l’un répond l’incitation de l’autre, qui répond, puis retombe dans le silence, nouvelle incitation, etc.). Chacun adapte son comportement aux réactions de l’autre, les temps existent mais ce sont toujours les mêmes (logique en deux temps).
Troisième possibilité = Trois temps logiques. Au bout de quelques séances pour voir (temps du regard), une image s’impose (temps pour comprendre) : celle d’un mur, un mur de silence. Proposition communiquée à la patiente (temps de l’énoncé) : « Vous mettez entre nous un mur de silence ! ».
Les études se portent plus aujourd’hui sur le fait que l’observateur crée l’objet qu’il observe à l’aide de modèle de pensée qui est le sien plutôt que sur cet objet. Ces modèles de pensée font en sorte que le monde que nous percevons est le monde que nous concevons. Les perceptions sont modélisées, ce sont donc des modèles de pensée.
Le modèle de pensée interne au thérapeute, la façon dont il construit l’image du problème est différent de la recherche de nouvelles infos objectives. Découlent de cette image la perception du problème et les conséquences ou attitudes thérapeutiques. L’observateur ne peut avoir qu’une seule vision de l’objet correspondant à une logique déterminée MAIS il a le choix parmi un nombre divisible en deux classes : Les logiques causalistes et les logiques non-causalistes. L’auteur choisit l’exemple de la toxicomanie car il démontre aisément les limites d’une approche causaliste, qu’elle soit linéaire ou circulaire.
Le modèle causal linéaire → Il crée un objet (le toxicomane) en l’isolant de son contexte, avec une partie cause et une partie effet. Exemple : Il a des difficultés d’adaptation et il met en péril sa santé à cause de sa toxicomanie. Si je supprime la toxicomanie, il y a disparition des symptômes. Supprimer la cause, c’est supprimer l’effet. Ce modèle ne doit pas être confondu avec le modèle précédentiel, où la situation n’est pas réversible (Exemple : Il est toxicomane parce que dans son enfance, il a eu telle ou telle frustration). Ce modèle ne prend donc pas le temps en compte.
Le modèle causal circulaire → Il met à jour les éventuelles répétitions. Selon ce modèle, si je veux comprendre, je dois pouvoir prévoir. On peut découvrir qu’il est possible de lier toutes les propositions linéaires en une seule boucle.
Exemple :
⇒
⇒
⇒
⇒
⇒ Aucune réponse à un niveau quelconque ne sera donc adéquate, car derrière une causalité linaire se cache une autre causalité linaire. L’objet toxicomane devient prédictible. Les intervenants seront différents en fonction d’où on se situe sur la boucle. Le temps existe donc ici, mais c’est toujours le même, le temps de la répétition. Les causalités s’enchaînent sur un mode récursif interminable et rend compte de la pathologie elle-même, de la capacité du toxicomane à créer des circuits récursifs qui peuvent inclure les intervenants.
Il est donc nécessaire d’introduire des modèles non causalistes, qui introduiront non seulement le temps mais également le changement.
Quatrième partie
La norme
La famille considérée aujourd’hui comme normale est celle que Durkheim appelait la famille conjugale, c’est-à-dire une famille réduite à un couple et ses enfants. Cette famille n’a pourtant rien de traditionnel puisqu’elle n’a émergé qu’au 19ème siècle, succédant à la famille patriarcale (cellule centrale avec patriarche, propriétaire des terres et son épouse, qui regroupaient autour d’eux plusieurs foyers constitués par le fils avec les filles, mariés avec leurs enfants). Ce n’est pas une simplification mais une complexification car cette cellule unique doit contenir des relations de types différents (relations éducationnelles parents-enfants, relations de rivalité fraternelle, et préserver un lieu amoureux au niveau du couple), ce n’est donc pas le modèle de toute famille… Les différents rôles dans les familles plus anciennes, dévolus aux oncles, tantes, cousins, etc. sont portés par seulement deux êtres, père et mère qui s’en trouvent chargés, voir surchargés.
Une évolution importante de la famille conjugale = Le couple se scinde de la famille, il en fait de moins en moins partie, il va exister en tant que tel, comme un petit groupe d’appartenance distinct de la famille. Cela signe la fin de la famille conjugale et du couple parental puisqu’il y a clivage entre fonction parentale et place de chacun dans un couple. Cela fait partie des nouvelles normes. Elles admettent que la présence d’enfants n’impose pas de poursuivre une vie de couple pauvre ou problématique (pour exemple, les lois rendent les séparations de plus en plus faciles, le PACS reconnaît le couple en dehors du mariage, etc.). L’hypothèse de l’auteur est la suivante : Cette différenciation a été rendue nécessaire par la pauvreté et la fragilité des appartenances actuelles. On a trop attendu du couple inclus dans la famille conjugale en demandant d’être le support unique de différents types de relations. D’un point de vue de thérapeute, il propose trois formes de vie aux couples en consultation :
Aux couples séparés, trois maisons : Une maison famille où les enfants restent et où les parents viennent quand c’est leurs gardes, et une maison pour chaque membre du couple.
Aux couples passionnels (dans l’amour ou la haine), la fonction conjugale ayant pris le dessus, délégation provisoire à un substitut (par exemple, la fille aînée) car ne sont plus dans une fonction de parents.
Aux couples en désaccord car il y a des divergences éducationnelles, leur signifier qu’il ne s’agit pas d’un problème de couple mais d’un problème de parents ! Proposition : Une semaine sur deux, chacun prend toutes les décisions. Cela permet de revoir le mythe de la coéducation, où souvent les parents pensent que les décisions doivent être prises tous ensemble, ce qui relève du mythe. Il s’agit plutôt de décider l’un après l’autre.
Pour exister, une famille se crée une limite entre le groupe et le monde extérieur. Son identité repose sur sa différence avec le monde extérieur. Les familles fonctionnent en créant un pôle central de croyance fondé sur la différence (comment on doit être, la façon dont on doit se comporter, penser, etc.). Cet ensemble de croyances va fonctionner comme un idéal, vers lequel elle tend et qui lui permet d’exister.
Se différencier des autres familles = Pôle de croyance sur lequel repose la famille. Autre pôle = Conviction que le monde extérieur, social a ses propres normes, idéal social d’une famille normale. Le fonctionnement normal d’une famille, c’est donc préserver sa différence et s’approcher le plus possible de son idéal de fonctionnement mais c’est également veiller à ne pas trop s’éloigner de la norme sociale d’une bonne famille.
→Les familles nous attribuent un certain nombre de convictions qui correspondent à leurs idées de la société. Parfois, nous partageons ces idées mais parfois nous sommes surpris de ce qu’ils peuvent nous prêter. Restons attentifs à cela.