LA PRISE EN CHARGE DE L’ENFANT VICTIME D’ABUS SEXUELS ET DE SA FAMILLE
Jean-Paul MUGNIER Thérapeute familial
Directeur de L’Institut d’Etudes Systémiques
"Même si c’est lui qui me l’a demandé, c’est moi qui l’ai fait"
Un enfant
Depuis plusieurs années, les thérapeutes sont amenés à rencontrer un nombre croissant d’enfants ayant révélés les agressions sexuelles dont ils avaient été victimes. Ce constat a évidemment des répercussions importantes sur le plan thérapeutique. En effet si la nature du traumatisme subi entraine l’apparition de questions nouvelles concernant la prise en charge de ces enfants et de leurs familles, sa fréquence contraint les thérapeutes à reconsidérer la génèse de certaines pathologies observées tant chez les enfants que chez les parents. Dans cet article, je tenterai d’aborder différents aspects spécifiques concernant la prise en charge de ces enfants et de leur famille et les séquelles que laissent de telles violences dans leur esprit.
Avant de présenter nos réflexions, il est d’abord nécessaire de distinguer les agressions sexuelles ayant lieu au sein du groupe familial et dont l’auteur est un parent (père, mère, grands-parents, oncle, tante...), des faits de pédophilie infligés à des enfants avec lesquels l’agresseur n’est engagé dans aucune relation affective durable voire vitale. Nous n’aborderons pas ici cette deuxième catégorie d’abus sexuel mais uniquement les situations où ces actes se déroulent dans la famille.
Pour ces situations, notre hypothèse est la suivante :
A l’origine du passage à l’acte de l’adulte sur l’enfant se trouverait un désir de vengeance faisant apparaître les agressions sexuelles comme l’issue d’une crise familiale, le plus souvent conjugale. Cette crise révélerait l’existence de la violence au sein de la famille, violence que pourtant chacun redoutait de voir apparaître. Le sacrifice de l’enfant, "sacrifice interdit [1]", serait dès lors la confirmation d’une indifférenciation intergénérationnelle impliquant les grands-parents, les parents et les enfants. En effet, l’existence de violences physiques ou sexuelles dans les familles d’origine d’un des parents voire des deux s’observe de façon presque systématique même si elle est restée longtemps voilée dans certaines situations.
Au départ, il y aurait chez les parents l’espoir, la volonté, de se différencier de leurs propres parents en mettant à distance la violence dont eux-mêmes avaient été victimes. La crise conjugale du couple parental entrainant l’échec de cette tentative, provoquerait finalement une indifférenciation intergénérationnelle faisant ainsi de l’enfant sacrifié le “passeur” potentiel pour les générations à venir de cette violence.
LA VIOLENCE SEXUELLE : UNE EMPREINTE INDELEBILE
Certaines études menées en milieu carcéral auprès d’agresseurs sexuels, révèlent que 80 % d’entre eux ont eux-mêmes été victimes d’abus [2]. Ceci n’exclut pas que, parmi les 20 % restant,…