Patients, familles et soignants Manuel d’entretiens familiaux en psychiatrie. Jean-Claude Benoît

L’auteur développe les analogies et singularités de chaque membre du trio en psychiatrie. Il explique comment ce trio peut fonctionner en triade pathologique qui disconfirme chacun. L’auteur convainc de l’alliance nécessaire que peuvent construire le patient, sa famille et les soignants dans l’approche familio-systémique. Il survole « l’instrumentation du mal » et « l’objet autistique » approches utiles aux professionnels en psychiatrie.

Résumé

« PATIENTS, FAMILLES ET SOIGNANTS »

Manuel d’entretiens familiaux en psychiatrie

de Jean-Claude Benoît
Eres – Relations – 2003

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Jean-Claude Benoît a eu une carrière de praticien hospitalier en institution publique. Médecins chef dans un services de malades chroniques, il travaille aussi comme formateur auprès des équipes. La patientèle qu’il a eue en charge était principalement des malades schizophrènes et psychotiques. Constatant les limites des prises en charge traditionnelles, il explore et affine une méthode d’entretiens collectifs familio-systémiques.

L’auteur déploie au fil de son ouvrage les analogies entre les membres du trio (le patient, sa famille et l’institution de soins).

Leurs modèles émotionnels se ressemblent et ne se départagent que par l’intensité vécue. La similitude du sort imposé aux soignants et aux soignés, par l’enfermement dans l’au-delà d’un mur - où règne souvent la violence, la honte, l’acculturation, la solitude et l’oubli - se cumule à la souffrance de chacun (le burn out des uns, la chronicité et les rechutes des autres). L’indifférence affective et la contrainte normalisante existent de la même façon dans les familles et dans l’institution. Chacun du trio apporte une part essentielle de son vécu familial dans l’institution.

L’auteur met l’accent sur l’axe conjugo-parental occupant une place particulièrement centrale dans le génogramme de la famille. Les doubles liens, les injonctions paradoxales et les communications compliquées et complexes, apparaissant dès la simple naissance du premier enfant dans le couple, peuvent contaminer l’équipe soignante.
Si les relations rigidifiées et l’inertie de la situation psychotisante peuvent être considérées comme une règle d’union familiale collective et reconnue par l’équipe soignante comme une volonté d’union familiale légitime, elle s’impose cependant douloureusement dans la durée à chaque membre de la famille mais aussi aux soignants.
Familles et institutions psychiatriques possèdent le même conflit avec le temps : changements brutaux sur fond d’inertie.

L’auteur profile aussi chaque membre du trio dans ce qu’il a de singulier.
Il présente comment le patient est maintenu activement dans une relation victimaire par la famille. Pour survivre dans l’institution et satisfaire ses désirs personnels le patient invente ses compromis, qui sont autant de symptômes nouveaux, la chronicité.
Tous les malades se ressemblent par leur capacité de guérison ou de croissance existentielle considérée comme très réduite. L’analogie fondamentale qu’ils vivent tant dans la famille qu’en dehors, les place dans la disconfirmation.
Et cependant, l’être individuel subsiste au-delà de l’autisme ou de la psychose manifestée par le patient.

Quant à l’institution thérapeutique, celle-ci est soumise aux principes paradoxaux de l’échec répétitif et de l’étouffement dans la confusion.
L’institution manifeste régulièrement sa non-différenciation, sa fusion des identités, et son incertitude des être individuels. « L’équipe pense que… » alors que A est le responsable idéologique doué du savoir (direction), B est le contrôleur qui précise l’injonction concrète, la tâche et le devoir (chef de service) et C est l’exécutant qui doit réaliser l’injonction avec bon vouloir (professionnel de 1ère l ligne). En découlent différentes alliances hiérarchiques dans lesquelles sont pris les patients et les familles.

Enfin, la famille transmet son angoisse et son sentiment de perte de pouvoir à l’équipe la forçant à trahir le patient. Paradoxalement, cette famille est prête à être aidée à aider son patient à évoluer. C’est-à-dire à sortir du message paradoxal véhiculé par les générations « tu dois t’autonomiser en tant qu’individu, futur créateur possible d’une famille, mais sans pouvoir rompre des liens vécus pendant ta croissance acquise dans ta famille d’origine. Ces liens demeurent en toi ».

L’auteur développe principalement l’approche familio-systémique qui se construit au sein du trio amené à vivre ensemble des interventions urgentes et contraignantes, souvent prolongées et répétitives. Ce trio devenant triade en situation psychotisante quand deux personnes s’allient contre la troisième. Ils y développent alors trahisons, injonctions paradoxales aboutissant à des disconfirmations mutuelles. Dès que l’angoisse s’accroît dans un groupe naturel ou institutionnel, les dyades de communication se transforment en triangles et les échanges deviennent des manipulations. Ces relations bloquent toute issue aux capacités de croissance existentielle latentes chez le patient.
Cette approche se fonde sur la découverte d’un sens relationnel des symptômes. L’objectif thérapeutique, dans la représentation interactionnelle famille-patient-institution partageant le triangle des incertitudes, est la découverte des valeurs : être et se différencier.
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Le groupe de formation à l’intervention systémique du CFTF a mis en évidence que l’angoisse d’anéantissement du patient en psychiatrie est plus importante que celle de dépersonnalisation.
La première s’ancre par une désepérance de vivre liée autant aux fantasmes de toute puissance que de dévalorisation totale mais aussi à une atteinte corporelle incontrôlable. Le patient se sent réduit à ne plus croire en lui.
La deuxième résulte de la position du patient qui se laisse formater par les solutions construites par les autres, soignants et famille, mais vis-à-vis desquelles il va tenter de s’opposer. L’opposition lui permet malgré tout d’exister, un peu. Mais elle crée aussi un double lien "Je suis hospitalisé pour me réparer. Mais pour exister et garder un sentiment de maîtrise sur ma vie, je refuse l’imposition des soins, des projets qui m’est faite par les autres". L’impuissance vécue par les soignants et la famille les plonge eux aussi dans la souffrance. Il est intéressant de s’interroger sur le comment l’équipe soignante et le système familial ont
été mobililsées par le porteur de symptômes.
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Il nous démontre combien la formation à la « poétique des relations » exploite tous les contenus métaphoriques, analogiques et contextuels et donne du sens à ce qui se fait et se montre dans le travail collectif. Il nous convainc de la réussite, là où échoue le pouvoir direct, de l’influence qualifiante et progressive de la compréhension affective, de l’élargissement des contacts, de la confiance dans une évolution positive impulsés par les professionnels au sein du trio.

Chaque rénovation et effort de re-confirmation par l’objet, l’espace et la relation portent cette marque contextuelle « Ici nous retrouvons l’humain et l’individuel malgré la démence et la collectivité aliénée ». La reconfirmation du patient en tant que susceptible de relation Je-Tu coïncide avec celle de membres de sa famille et celle des membres de l’équipe soignante…tous individus mis en cause par la crise institutionnelle. L’évolution du psychotique se produit lorsque la relation dans le trio donne au patient un sentiment suffisant de fiabilité. Car seul le patient peut ouvrir la porte de la famille, elle-même en crise. Cette confiance se nourrit du respect de la loyauté des professionnels envers lui, permettant ainsi de lutter ensemble contre un ensemble de pratiques qui ont fait que l’institution est devenue un lieu d’aliénation pour les équipes de soins.

L’auteur aborde plus succinctement « l’instrumentation du mal » méthode qui permet d’étudier collectivement la crise de façon imageante. Cette méthode révèle, par les images proposées par le participant du collectif au travail, la représentation idéalisée, d’une part, et la réalité qui le met en crise, d’autre part. Cette méthode se veut de transformer le négatif en moyen d’approche du positif.

Il présente enfin l’aide potentielle aux efforts de la négociation patient-famille-institution que cristallise « l’objet autistique » accompagnant le patient. Cet objet porte une signification personnelle et interpersonnelle précise pour la relation soignant-soigné. Cependant il fait peur aux soignants car il leur signale combien l’impuissance du patient est plus forte que leur savoir. Il fait allusion à la croissance engluée du patient au sein de ses relations actuelles difficiles avec sa famille et son institution.

Mots-clefs : triade – approche familio-systémique – psychose – disconfirmation – alliance thérapeutique - institution psychiatrique – souffrance systémique