L’auteur fait, durant cet ouvrage, un plaidoyer sur l’intérêt thérapeutique à modifier les centres d’intérêts, les structures matérielles et subjectives ainsi qu’à promouvoir l’attention à la « vie quotidienne ». Il postule que ce sont les conditions pour faire disparaître le gâtisme, l’agitation, etc, trop présent au sein des institutions psychiatriques.
Il prône l’analyse institutionnelle, concept inspiré de la théorie de François Tosquelles pour qui il faut articuler les différents types d’aliénation (sociale, imaginaire, langage, psychotique, etc). Ledoux souhaite également attirer l’attention du lecteur sur la pathologie collective des structures institutionnelles de toute sorte.
Enfin, il évoque aussi l’importance de l’élaboration des « espaces d’accueil », sortes de balises qui permettent de fabriquer des concepts ouverts qui prennent compte de l’histoire du tissu social avec lequel on travaille et où l’on est un des membres !!!
La question de fond qui sous-tend l’ouvrage vise à redéfinir le travail social comme le moyen à faire émerger chacun dans sa singularité…
En tant que Directeur d’une AMO, je vais reprendre, au travers de ce résumé, des différents passages de cet ouvrage qui m’ont intéressé. Je complète ce résumé par quelques notions sur le concept du collectif au travers de la dynamique des groupes et de la psychologie sociale…
Dans un premier temps, l’auteur nous fait réfléchir sur le concept d’exclusion… Ainsi, la société créée des identités qui permettent de reconnaître chaque individu. L’objectif étant, notamment, de faciliter l’accès aux soins.
Cette identité sociale lui ouvre également l’accès à la dimension collective, en tant que telle…Celui qui ne possède pas de carte d’identité risque d’être exclu de ce collectif, et donc, de l’accès aux soins.
Afin d’éviter cette exclusion, les gens s’adaptent à ce règlement instauré par l’Etat. Et pour ceux qui ne s’adaptent pas, les gouvernements mettent en place des services afin de les ré-inclure dans la vie sociale…
Au travers du slogan « La Santé pour Tous » l’Etat souhaite amener les peuples au niveau de santé le plus élevé… Ainsi, nous pouvons observer que le « prendre soin » est déterminé par le règlementaire…La maladie est vue au travers du service le plus adéquat que le gouvernement peut lui servir et dont les plans de traitement sont dirigés par des professionnels de la santé ou des managers.
L’uniformisation est la base du système, le vide doit y être banni, car inquiétant pour les autorités La contradiction est inévitable, plus il y a d’uniformisation, plus les individus sont aliénés du système car ils ne se retrouvent pas dans leur maladie…Derrière ce paradoxe, l’Etat au lieu de s’interroger sur les phénomènes sociaux à tendance à prendre des mesures répressives qui visent toujours à remettre de l’uniformisation…
Dans l’Histoire, l’Etat fonctionnait sur un mode tyrannique où il jouissait de son pouvoir sur une masse dominée. Dans le despotisme moderne, l’Etat est devenu une puissance réglementaire, comme un administrateur, qui règne sur une masse de sujets adonnés à leurs plaisirs…A la suite de Nietzsche, on peut lire que l’Etat pourvoit à la sécurité mais prévoit également l’assurance des besoins, facilite les loisirs etc.
Ainsi, au niveau des soins de santé sont créés des postes de coordinateur, des spécialistes. De l’administration, le sujet n’espère rien, il attend tout. Les individus sont cadrés par le règlement
Freud a montré que la réglementation exerce une fonction contenante des liens sociaux par identification au chef idéalisé.
La stratégie du règlement est bien perçue au travers du DSM qui fige les symptômes et les inscrits dans une psychopathologie empirique… Le terme de soin glisse vers le traitement, et le travail glisse vers la notion de tâche, ainsi, soigner demande du travail et traiter est une tâche…Le personnel tente maintenant de bien faire sa tâche… Cette réglementation des tâches différentie les professionnels, délimite leur territoire, les ressemble dans des services distincts ce qui facilite leur évaluation… Cela permet aussi d’avoir des travailleurs moins coûteux, un éducateur n’étant pas payé comme un médecin psychiatre, puisqu’il ne doit pas réaliser la même tâche…
Pour les patients, le terme de ségrégation est la conséquence de cette réglementation, les toxicomanes sont séparés, par exemple, des schizophrènes… L’organisation renforce donc les comportements stéréotypés. Le service est fermé, entouré par une grille ou des murs, la surveillance de l’isolé est permanente et les malades peuvent être placés en chambre d’isolement !!! Il apparaît ici, très clairement, comment la société confrontée à des comportements qui portent atteinte à sa base politique, pose la réglementation…
Or, la demande des patients, c’est une reconnaissance de leur être, de leur style de vie, sans quoi, la vie n’a pas de prix. Ce qu’il manque dès lors, c’est des lieux permettant une intégration plus adéquate où une nouvelle identité sociale peut se créer…
Pour Ledoux, en citant Schotte, lui-même influencé par Szondi, Freud ou même Mead, c’est au travers des échanges interpersonnels, que nous apprenons à découvrir l’autre de chacun, et tout le travail thérapeutique consiste à respecter cette dimension de l’autre… Cette dimension est importante, car au lieu d’être soigné, l’homme prend soin activement de lui-même.
La psychothérapie institutionnelle comme mouvement éthico-politique
Cette thématique est issue de l’approche de François Tosquelles, catalan, né en 1912 pour qui les hommes ont toujours vécu en situation de crise. Il n’a jamais dissocié l’engagement politique de l’engagement psychiatrique ! Il se caractérise par le fait qu’en tant que directeur de service, il a choisit d’embaucher des personnes qui viennent de différentes couches sociales (artistes, prêtres, ouvriers, paysans) plutôt que des professionnels. Pour lui, chacun à sa propre place dans un ensemble et il préfère le style et les compétences de chacun à son statut professionnel.
Il donne une signification importante à des concepts tels que le rôle, la compétence, le Collectif, la vie quotidienne…
Il considère qu’il existe un rapport fondamental entre l’institution et l’approche thérapeutique. Inspirés par l’approche de Moreno, il pense que par le simple fait que les patients sont en groupe de par leur fréquentation de l’institution, la psychothérapie (institutionnelle) doit s’adresser à ces groupes dans leur dimension matérielle et institutionnelle. Ainsi, pour lui, le devoir le plus primordial de la psychothérapie institutionnelle est de prendre soin de la singularité de chacun des malades au sein d’une collectivité de malade.
La méthodologie est basée sur l’interaction entre la psychothérapie et l’institution. Le meneur de jeu est le médecin chef qui doit se positionner comme un acteur du système, comme les autres…
Si nous pensons au binôme sujet-institution, du point de vue de l’invariabilité de l’institution, et de la variabilité des sujets nous en arrivons à penser que l’institution a des normes qui demeurent et ce sont les sujets qui changent, qui entrent et sortent–. Le travailleur social vise alors à agir sur le sujet pour qu’il s’adapte aux normes institutionnelles déjà établies. La régulation se portera sur le sujet, et les éducateurs prendront la fonction de ceux qui doivent veiller à ce que les individus remplissent ces normes.
Au contraire, si l’on considère que c’est le sujet qui va vers l’institution en apportant avec lui l’invariabilité de la répétition et la fixité de ses réponses à l’Autre social, et que c’est à l’institution d’être flexible pour l’accueillir dans sa particularité, nous pouvons ouvrir une autre voie de travail dans la lignée du traitement de cet Autre qui devient, pour le sujet, l’institution même et ses professionnels. L’expérience nous montre que cela provoque un important effet d’apaisement sur le sujet, et un effet de dynamisation et d’enthousiasme chez les professionnels
Des outils pour rendre l’hôpital psychothérapeutique
La question qui se pose est comment instituer dans une collectivité, un espace qui rende possible la vie ensemble ??
La collectivité est composée de participant. Si les comportements sont mesurables, analysables en observant un individu isolé, il n’en va pas de même au sein des rapports dans la Collectivité.
Au sein de la collectivité, chaque participant garde son style particulier, avec une distinction entre son statut, son rôle et sa fonction. Cependant, au sein du groupe, émerge des dynamiques, difficilement mesurables…
La difficulté du travail en collectif est de laisser apparaitre la singularité des membres du groupe. Pour Oury, le collectif est un véritable outil qui permet d’obtenir de véritables effets psychothérapeutiques.
La pathoplastie renvoie à des troubles ayant une autre cause que les processus internes, c’est-à-dire que c’est la part imputable aux effets du milieu sur la structure du trouble. Autrement dit, l’hôpital est malade et avant de se fatiguer à soigner le malade, il faut d’abord soigner cet hôpital (après 1968) Le Collectif doit ainsi ouvrir de nouveaux domaines pour mettre en place le possible à la singularité
L’évolution du patient dans le collectif
Durant quelques lignes, je sors temporairement du résumé de l’ouvrage pour insérer quelques rappels de notions issus de la psychologie sociale et de la dynamique des groupes.
Paradoxe du collectif : il est porté par l’intérêt des personnes mais en même temps l’intérêt des personnes trouve un soutien dans le Collectif.
De nombreuses recherches en psychologie sociale ont montré que l’on pouvait modifier les attitudes des personnes lorsque celles-ci sont membres d’un groupe restreint (COOLEY, MEAD, MAYO).
COOLEY a montré qu’en créant des petits groupes (ou en utilisant ceux qui existent, ateliers, équipes,…), et en utilisant des interactions entre leurs membres, on provoque des changements.
KURT LEWIN affirma également que la découverte et la compréhension de la dynamique du groupe permettent l’analyse des conduites et forcément la mise en place d’un processus évolutif.
Le groupe comme lieu de partage du vide.
Tout individu, par le biais de son intégration dans différents groupes, se trouve inséré dans un tissu social touffu, qui participe à sa socialisation et oriente sa sociabilité.
L’angoisse est forcément présente dans le collectif, comme la notion de partage. Et cela pose la question du qui suis-je dans l’autre ?? L’Autre est celui contre lequel nous nous heurtons et auquel nous essayons de nous adresser. Mais l’impuissance créé des ouvertures pour l’imprévisible. Ces ouvertures sont inaccessibles pour l’homme en souffrance psychique. Partager ce vide en tant que travailleur social nécessite une disponibilité pour tous, avec un engagement identique pour chacun de sorte que chaque être humain fasse partie d’un ensemble.
C’est en construisant un « entre » que nous parvenons à nous adresser à l’autre autant que nous acceptons d’entendre l’autre. C’est dans ce lieu-là que l’homme peut apprendre de ses propres épreuves. Au lieu de subir, l’homme peut apprendre par ce qu’il éprouve. Par l’imprévu, échappant à toute compréhension et toute compréhension sont les seules sources du savoir.
Ce qui entraîne un paradoxe dans l’existence : comment vivre séparé d’un autre qui n’est pas encore un autre ?
Par la construction d’une scène fantasmatique. Exemple, le corps et le Moi parviennent à se concilier et à s’identifier à l’autre. Quand le corps retrouve sa dignité, il compte autant que le corps de l’autre…Le jeune peut ainsi découvrir son corps grâce à son ami. Grâce à cette scène, les liens se tissent entre les jeunes, leurs environnements, leurs éducateurs, leurs institutions. Il parcourt le chemin qui part de l’aliénation à la séparation.
Ledoux distingue la notion d’acting out et de passage à l’acte. Pour lui, le passage à l’acte est une action impulsive dans une situation de grand embarras et avec un maximum de tension émotionnelle. Par contre, l’acting out est plus organisé, la scène est organisée pour être vu. L’objectif d’un service social est donc de mettre en place des lieux (qu’il appelle praticable) qui permet de cadrer les actions impulsives (sorte de pièces de théâtre par exemple) et de faire passer les passages à l’acte en acting out.
En AMO, nous avons mis en place des « praticables », sorte de groupes de références composés de jeunes issus des quartiers. Au travers d’ateliers thématiques (sports, musicaux, culturels, …) nous travaillons sur la dynamique des groupes de référence. Voici quelques repères théoriques qui me semblent complémentaires avec la théorie de Marc Ledoux.
Le groupe de référence.
En se regroupant avec d’autres qui partagent le même sort, l’individu cherche à se protéger de l’anxiété. Les groupes servent de référence car ils fournissent des repères de comparaison qui permettent à leurs membres de s’évaluer. D’autres parts, ils créent des normes et des valeurs ce qui va influencer les attitudes et les opinions des membres du groupe. En reprenant SHERIF (1956), le groupe devient référence lorsque l’individu se rattache personnellement en tant que membre actuel ou auxquels il aspire à s’identifier.
N’oublions pas non plus que l’autoévaluation passe aussi par la comparaison de son groupe à d’autres
FESTINGER a démontré que plus un groupe exerce de l’attraction pour les individus, plus ceux-ci le considéreront comme un pôle important dans la comparaison. En conséquence, les pressions vers l’uniformité sont très fortes, chacun juge la validité de ses opinions au fait qu’elles sont partagées par d’autres. Ainsi, la comparaison sociale provenant des groupes de référence pousse à la recherche du consensus et les conduites de conformation.
Dans un groupe de référence, l’individu adhère aux normes, aux modèles, aux valeurs véhiculées au sein de celui-ci (c’est la fonction normative de MERTON).
Cependant, l’individu ne se contente pas d’établir des ressemblances et trouve aussi dans le groupe un support pour se distinguer, pour se faire reconnaître comme être unique (recherche d’identité). En cas d’échec, il y a risque de perte d’unité du moi et angoisse le groupe menace l’identité de l’individu).
Ainsi l’être humain pour réaliser ces objectifs se sert du groupe car il ne saurait pas les réaliser seul et par l’image que le groupe dégage. D’un autre côté, il s’en sert pour créer sa singularité.
A la suite de SARTRE, nous pouvons conclure que les groupes ont pour objet même, le changement. Pour SARTRE, le "collectif" permet à l’individu de changer une situation qu’il ne pourrait faire seul. En découvrant des intérêts communs, les individus découvrent leur interdépendance.Les groupes se créent dans l’action. Ainsi, ils peuvent créer leurs projets et non plus subir.
Selon Kurt LEWIN, l’action implique la capacité de se projeter dans le futur, dans le cas contraire, on assiste à un rétrécissement de l’espace de vie" de la personne.
C’est dans ce terreau que naquit, en 1947, l’école de Bethel où furent créés les T-Group et puis les S-Groups (Technique), les A-Groups (Actions),...la dynamique des groupes était née.
C’est Jacob LEVY qui fixa le concept de valeur thérapeutique des groupes, basés sur la notion de renversement de rôles.
Il met l’accent sur la création collective, chacun est impliqué, tout est improvisé sur base des conflits suggérés par les participants ou sur base des thèmes d’actualités ce qui donna naissance au psycho et sociodrame. Son objectif n’était pas d’améliorer le jeu d’acteurs mais de chambarder la société grâce à l’abolition des "conserves culturelles" et avec Bergson, il fait l’apologie de spontanéité - créativité.
Comme pédagogue, il relie tout symptôme à la structure d’un rôle. Le sujet en s’y aliénant, hérite de tout un modèle de comportement et s’y englue. Très rapidement, le bègue s’englue dans le rôle du bègue. Il était convaincu que ce ne sont pas les rôles qui émergent du moi mais que c’est de celui-ci que peut émerger des rôles (importance de l’action, de l’engagement,...).