Résumé
Mais à quoi peut encore bien servir un placement en milieu éducatif en 2019 ? – La parution du présent article En son sein, des changements importants ont été engagés, lesquels touchent autant le plan des croyances, des modèles que celui de leur mise en scène dans les pratiques observées. Si une plus grande variété de mesures d’aide est désormais proposée aux familles en souffrance, le principe même du placement en institution pour adolescents est quant à lui fortement questionné et fragilisé. Quatre vignettes cliniques sont présentées ici pour illustrer l’intérêt et la pertinence toujours actuels de ce mode de prise en charge.
Mais à quoi peut encore bien servir un placement en milieu éducatif en 2019 ?
En hommage à Théo Cherbuliez, la plus belle des lumières jamais diffusée dans le brouillard.
Vincent Roosens Psychologue, thérapeute de famille au foyer de Thônex (Astural), Genève
[1]
Contexte de la réflexion
Sous l’influence de différents facteurs, le monde romand de l’éducation spécialisée est entré dans une phase de mutation qui nous interroge.
Il est d’abord une réalité socio-économique qui s’impose en particulier dans le canton de Genève où notre foyer est situé, dont les conséquences ne sont pas à négliger. En effet, des programmes de rigueur budgétaire décidés par notre Conseil d’État visant une réduction globale des charges du service public et parapublic (dont les associations) ont été activés et sont dans l’air du temps, ce qui signifie en clair une baisse des subventions allouées.
L’impact de telles mesures sur le taux d’encadrement des personnes confiées aux professionnels de l’éducation est direct, et il s’agira désormais de « faire au mieux » avec des moyens susceptibles d’être objectivement diminués. Légitimes sont les craintes des mêmes professionnels que les prestations offertes aux usagers concernés ne faiblissent, à l’instar du temps consacré à l’ensemble des partenaires d’un placement. A ceci nous faut-il joindre encore le risque bien réel qu’en entamant son tissu social, une société s’expose à une augmentation de comportements déviants par manque de contenant.
Prenons maintenant un peu d’altitude pour transcender les frontières de notre canton et, du haut de la nacelle de notre montgolfière, apprécier un deuxième élément remarquable de la mutation engagée. Nous faisons allusion à une perception en évolution du séjour en milieu éducatif, dont une des sources en Suisse est à situer « dans le contexte de la reconnaissance des placement abusifs du passé avec leur cortège de violence et les courants de désinstitutionnalisation qui s’ensuivent » (E. Paulus, 2014).
Une question aussi sensible et médiatisée n’aura échappé à personne ces dernières années. Si nous tendons ensuite l’oreille en direction du pays francophone voisin, nous serons attentifs à la voix de J. Trémintin (2009) qui, commentant un ouvrage de la pédagogue sociale Anna Rurka, parle d’un « nouveau paradigme de la promotion des usagers (développement de leurs potentialités et renforcement de leurs compétences) qui a remplacé le modèle passé de leur protection (assistance et dépendance aux institutions) ».
Autre temps, autres croyances : notre lecture des actes du colloque « Préventif, éducatif, curatif… and if ? Bientôt la fin des institutions ? » (Morat 2014), et du rapport « Réforme de l’éducation spécialisée » (Office de l’enfance et de la jeunesse - Genève 2013) nous a indiqué à quel point l’aide apportée à l’enfant en difficulté se concevait plus que jamais sous l’angle de la prévention et de la priorité de son maintien dans sa famille [2] . Cette transformation idéologique s’est traduite très concrètement par un développement important de structures d’accompagnement socio-éducatives de type ambulatoire, souvent présentées comme des alternatives au placement. Dépendant tantôt des tribunaux, tantôt des services de protection des mineurs, ou alors constitués en associations de droit privé, ces dispositifs répondent aux noms devenus familiers d’A.E.M.O (action éducative en milieu ouvert), A.E.D (aide éducative à domicile), U.A.P (unité d’assistance personnelle), etc.
Nous pouvons constater aujourd’hui avec un certain recul temporel qu’une telle démarche, louée pour sa flexibilité et son moindre coût au regard des frais engendrés par un placement, produit des résultats encourageants auprès d’une partie des familles qui acceptent d’y entrer. Et, qu’à ce titre, elle mérite d’être soutenue et pérennisée.
Nous avons choisi d’accueillir ces nouveaux partenaires du paysage institutionnel avec intérêt, dans un état d’esprit fondé sur la coopération, et la reconnaissance d’une complémentarité possible de nos interventions. Avec une distance critique aussi, face à l’éventualité d’un glissement entre le projet de maintien d’un enfant dans son système d’appartenance, au nom de son droit à vivre en famille, et le projet de l’y maintenir coûte que coûte. C’est une chose que de chercher à activer les ressources d’acteurs familiaux, soutenir le développement de leurs compétences, c’en est une autre que de s’obstiner à ramener un sujet dans un environnement qui n’est, provisoirement du moins, pas en mesure de pourvoir à ses besoins malgré les efforts entrepris. Il y a même alors danger à persévérer dans une voie qui ne présente pas d’autre issue que la péjoration d’une situation.
Nous sommes d’avis qu’il y a aujourd’hui des pensées diffusées, de l’ordre de la croyance, dont le pouvoir opérant existe lorsqu’il est question d’envisager des mesures d’aide. Et ce, d’autant plus si la personne qui les véhicule a un potentiel d’influence sur la palette des choix à disposition. Ainsi telle assistante sociale nous déclarait que…