Spiritualité et santé mentale

Colloque Spiritualité et Santé Mentale

Le 10 février s’organisait pour la première fois à Liège(Belgique) un colloque dont le sujet liait spiritualité et santé mentale dans les locaux de l’évêché .

Je ne suis ni véritablement athée - je n’ai aucune raison personnelle qui m’aurait fait jeter l’enfant divin avec l’eau du bain - ni ne suis véritablement croyant touché par la grâce , mais le sujet de la spiritualité et de sa place dans la souffrance psychique m’a depuis longtemps interpellé.

J’espérais donc une bonne journée, de celles qui vous donnent l’impression que votre conscience s’enrichit de visions nouvelles, visions alternatives qui ouvrent autant de pistes de méditation sur le travail d’accompagnement de la souffrance mentale, notre quotidien. Je me suis dit « voilà peut-être une journée où les « états d’âme », quelle que soit la définition à laquelle on adhère, seraient pris au sérieux comme point central de la souffrance qui nous occupe et pas rapidement balayés d’un revers de main scientifico-rationnelle ».

Je n’ai pas été déçu. Chacun à sa manière m’a convaincu de l’importance d’élargir ma vision afin d’y intégrer la dimension spirituelle lorsque j’accompagne la souffrance.

L’introduction du Dr Welter a rappelé à quel point les interventions en santé mentale restent souvent trop centrées sur les préoccupations matérielles et matérialistes. Selon lui, c’est souvent au niveau de ces questions de réinsertion première ( dettes à épurer, logement, etc...) que l’on se voit intervenir.

Jean-Michel Longneaux a brossé un portrait de la souffrance psychique intéressant trois types d’intervenants : la souffrance psychique est l’objet commun qui intéresse la psychiatrie organiciste, la psychanalyse et le religieux. Chacun, dit-il, propose une solution sensiblement différente à une même souffrance. De maladie mentale considérée comme expression d’une âme damnée, on est passé, avec l’avènement du discours scientifique, à la maladie mentale comme expression d’une molécule perdue... La même souffrance appelle à des solutions différentes selon la croyance du soigneur. Et entre les deux, Longneaux place les mouvements analytiques qui parlent tantôt le langage des uns tantôt le langage des autres. Après avoir développé un modèle où la souffrance psychique se définissait comme générée par l’existence d’un fossé entre certains désirs et la réalité, il a surtout abordé le niveau macroscopique des solutions à cette souffrance, en parlant de l’importance de la reconnaissance par le groupe et l’adhésion à ses solutions et aux rites qui en découlent. Le discours religieux est considéré par Longneaux dans sa dimension de mythe ( au sens anthropologique du terme : c’est-à-dire, une représentation du monde tenue pour vraie pour ceux qui y adhèrent). On constate que ce mythe est en recul par rapport à d’autres mythes qui structurent maintenant notre monde moderne, et qui nous aident à le penser ( les récits économiques, le discours juridique, le discours de la médecine et de la science). Même si, dit-il, le regard de la religion n’est plus vrai que pour ceux qui y croient, Longneaux pense qu’il pourrait être un discours qui aide à se structurer.

Mr l’Abbé A. Wénin a, pour sa part, relu les premiers versets de la Genèse avec une démarche qui rappelle l’approche de la psychanalyste Mary Balmary dans son livre « Moïse et le sacrifice interdit, Freud et la Bible ».

L’Abbé Wénin a réinterprété le texte au plus proche de sa version originelle pour en extraire un sens qui n’est pas du tout en contradiction avec la littérature psychologique moderne.

Paul Delvaux La Genèse

 [1]

Ces relectures du texte biblique permettent de revoir ce texte fondateur avec un autre regard : comme un grand livre de sagesse universelle mais dont le message, inaccessible à la première lecture manifeste - celle qui accompagna nos cours de catéchisme - , est à découvrir patiemment comme on interprète un conte de fée, un mythe ou un rêve. Un exemple parmi d’autres : « l’arbre défendu » vu comme une injonction à consentir à un manque, sans quoi la vie psychique est en danger, prendre tout correspondant à mourir. Développer son existence sur ce mode serait mortifère, vivre avec le manque étant le lot de notre condition humaine.

Le Dr Van Meerbeeck a retracé, dans un style passionné... le parcours entremêlé des mythes religieux et scientifiques qui ont orienté notre réalité et qui ont justifié des choix thérapeutiques tout au long des siècles jusqu’à nos jours.

Il ressent la crise de l’époque contemporaine à travers les pathologies des jeunes, qu’il voit investir du rôle d’idoles des représentations pathologiques.

Ici, comme tout au long de la journée, on pourra regretter l’absence de références à C.G. Jung - ou à ceux qui se revendiquent de son modèle - qui consacra une bonne partie de sa vie à mettre au centre de sa psychologie la dimension spirituelle en l’homme. Mais c’est finalement assez banal de trouver pertinent maintenant ce que d’autres, laissés dans l’ombre, affirment depuis longtemps et de tenter par la même occasion de se l’approprier comme sien.

Mme C. Lefebvre-Werbrouck et l’Abbé B. Lejeune ont présenté l’apport d’un service pastoral au sein de l’hôpital. Là aussi un petit goût de trop peu dans la mesure où, à mon avis, ils semblent revendiquer au nom de cette intervention pastorale, une approche des personnes en souffrance que pratiquent déjà les intervenants en milieu psychiatrique - notion d’écoute bienveillante, neutralité, etc.... J’ai eu personnellement beaucoup de mal à extraire la spécificité de cette intervention. C’est peut-être ailleurs que dans la mise en pratique de valeurs chrétiennes traditionnelles d’écoute et de respect de l’autre qu’il faut chercher sa spécificité.

Personnellement, j’ai quitté ce colloque avec la satisfaction d’avoir entendu des orateurs qui ont nourris ma réflexion, heureux de découvrir l’intérêt que suscite cette question de la spiritualité dans la souffrance psychique et l’importance de lui rendre une place. Je regretterai cependant l’absence de toute référence à la psychologie de Jung - ne fut ce que pour le contredire - qui n’a cessé de clamer tout au long de son oeuvre, l’existence d’une dimension spirituelle dans le psychisme humain responsable de souffrances psychiques si l’on en tient pas compte - spiritualité qui peut se manifester sous différentes « couleurs » (catholique, bouddhique, etc...) selon le contexte culturel. Enfin, n’est toujours pas claire pour moi la place de la pastorale dans le monde hospitalier. Sa pertinence se trouverait peut-être dans la présence active de croyants au mythe religieux qui constitue notre culture, comme dit Longneaux, mythe qui, malgré sa discrétion actuelle, n’en reste pas moins notre fondement occidental. Ce mythe ou discours reste donc utile pour proposer un foyer à la dimension spirituelle qui semble errer sans destination dans notre culture. Cette errance qui fait dire à Van Meerbeeck que les jeunes idolâtrent n’importe qui.

Christian Poelmans * * *

Notes

[11 Genèse 2,15-3,+4,1-2a

2,15 Et le Seigneur Dieu prit l’humain et le déposa dans le jardin d’Eden pour le travailler et le garder.

16 Et le Seigneur Dieu ordonna l’humain en disant : « De tous les arbres du jardin, manger tu mangeras.

17 Mais de l’arbre du connaître bien et mal tu n’en mangeras pas car au jour où tu en mangeras, mourir tu mourras. »

18 Et le Seigneur Die dit : » Il n’est pas bien que l’humain soit à sa solitude. Je ferai pour lui un secours comme son vis-à-vis » [...]

21 Et le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur sur l’humain - et il s’endormit- et il prit une de ses côtes et ferma la chair à sa place.

22 Et le Seigneur Dieu construisit en femme la côte qu’il avait prise de l’humain, et il la fit venir vers l’humain.

23 Et l’humain dit : « Celle-ci, cette fois, est os de mes os et chair de ma chair. A celle-ci sera crié femme [‘ishâ] car d’homme [îsh] a été prise celle-ci ! »

24 Sur quoi homme abandonnera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils deviendront une chair unique.

25 Et eux deux étaient nus, l’humain et sa femme, et ils ne se faisaient pas honte.

3,1 Or le serpent était rusé [ nu] plus que tous les vivants des champs qu’avait faits Adonaï Dieu. Et il dit à la femme : « Ainsi, Dieu a dit ‘ vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin’... »

2 Et la femme dit au serpent : « Du fruit des arbres du jardin nous mangeons,

3 mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas de peur que vous mouriez’. »

4 Et le serpent dit à la femme : « Mourir vous ne mourrez pas !

5 Mais Dieu est connaissant qu’au jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme Dieux connaissant bien et mal. »

6 Et la femme vit que bien était l’arbre pour manger, et convoitise, lui, pour les yeux, et désirable, l’arbre, pour acquérir l’intelligence/réussir, et elle prit de son fruit et mangea, et donna aussi à son homme avec elle et il mangea.

7 Et les yeux d’eux deux s’ouvrirent, et ils connurent qu’eux étaient nus, et ils cousirent du feuillage de figuier et firent pour eux des pagnes. [...]

4,1 Et l’humain (‘Adam) avait connu Vivante (Eve) sa femme et elle fut enceinte et elle enfanta Caïn, et elle dit : « J’ai acquis [qanîtî] un homme avec le Seigneur ! »

2 et elle continua à enfanter son frère Abel.