Troubles psychosomatiques au regard de l’approche systémique
1.Introduction
Luigi ONNIS a élaboré un modèle systémique explicitant l’apport d’une thérapie familiale dans les troubles psychosomatiques (entendons par là toute manifestation physique associée à une souffrance psychique).
Pour commencer, cet article synthétise les idées maîtresses du livre « corps et contextes » de Luigi ONNIS(1).
Deux éléments seront principalement développés :
a.l’existence d’une corrélation entre le symptôme psychosomatique, les réactions psycho-émotionnelles du patient et les caractéristiques de son système d’appartenance.
b.La tendance à négliger dans les réponses thérapeutiques habituelles les composantes psycho-émotionnelles et relationnelles, en se limitant à traiter la composante biologique.
Ensuite le propos se penchera sur la démonstration proposée par ONNIS (2) concernant l’utilité de ce modèle.
Afin de permettre la compréhension des concepts abordés, il sera fait référence à d’autres modèles tels que l’approche structurale et l’école de Rome.
2.Homéostasie, transformation, rigidité ...
Les maladies psychosomatiques requièrent une approche qui rendrait compte de la complexité des phénomènes observés, de la participation simultanée des composantes, de leur corrélation, de leur interactions réciproques et circulaires. Les comportements des membres de la famille sont intriqués les uns aux autres et tous coopèrent au maintien de la situation dysfonctionnelle et du symptôme.
A la suite d’événements traumatisants pour la famille , il y a risque de blocage de la famille dans un stade homéostatique. La famille a « perdu de vue » ses capacités de transformation nécessaires à l’évolution des besoins des individus. Dès lors, ceux-ci viennent en compétition avec la tendance de cohésion et d’homéostasie de la famille.
En effet, chaque famille a des règles relationnelles grâce auxquelles le système se définit comme une « totalité ». C’est ce qui garantit l’homéostasie, la stabilité, l’équilibre interne de la famille.
A coté de cette tendance, le système a aussi une capacité de transformation, de changement.
Dans un équilibre dynamique les deux tendances s’équilibrent en souplesse.
Dans d’autres systèmes, une rigidité particulière des règles empêche les changements adéquats suite à de nouvelles exigences d’évolution.
Dans ces systèmes, il risque d’apparaître des manifestations symptomatiques observées plus particulièrement lorsque les forces de changement dues à des évènements extérieurs (déménagement, changement de travail ou de ressources financière, etc…) ou liés au cycle vital de la famille (naissance, autonomisation d’un enfant, retraite, décès, etc…) sont importantes.
Autrement dit, si les règles sont « rigides », il n’y a pas de transformation possible.
Le symptôme est donc perçu comme caractéristique du système tout entier.
« « L’unité psychologique à observer n’est plus l’individu mais l’individu dans ses contextes sociaux significatifs. » » Minuchin.
3.L’influence réciproque et circulaire entre les différents systèmes.
Dans la vision systémique la donnée biologique trouve une place précise. Elle considère l’influence réciproque et circulaire entre les différents systèmes : psycho-biologique individuel, familial et socio-environnemental ou socio-culturel.
Définissons ces systèmes :
3.1.Le système psycho-biologique individuel.
Rappelons-nous de Minuchin. Il distingue les troubles psychosomatiques primaires et secondaires. Dans les troubles psychosomatiques primaires, il y a dysfonction biologique et l’élément psychosomatique consiste en l’exacerbation émotionnelle du symptôme déjà existant. C’est ce que Minuchin appelle la « vulnérabilité » de l’enfant (asthme, diabète …).Dans les seconds, aucune prédisposition ou altération physio-pathologique de ce type n’est mise en évidence (anorexie ...).
Dans les deux cas, le stress émotionnel peut provenir du milieu intérieur ou extérieur à la famille.
Même quand il y a altération biologique, l’adaptation entre symptôme et organisation familiale joue un rôle déterminant dans l’évolution du symptôme. La tendance à persister du symptôme relève de la persistance des interactions en présence et il arrive qu’elles soient renforcées par l’intervention du technicien !
3.2.Le système familial.
Celui-ci prend en compte l’ensemble des caractéristiques des modèles organisationnels de la famille. Le symptôme est activé par le stress émotionnel lié à certains modèles d’interactions familiales. Ces modèles sont rétroactivement amplifiés par l’apparition de la maladie du patient. Dès lors, le symptôme n’agit pas comme stabilisateur mais potentialise certaines caractéristiques familiales.
Pour l’intervenant, il s’agit alors de vérifier la façon dont cette famille, à ce moment de son histoire et de son cycle vital, interagit avec l’apparition de la maladie d’un de ses membres.
3.3Le système socio-environnemental ou socioculturel.
Il considère les systèmes qui influencent le patient et le groupe familial. La famille est un système ouvert en lien avec son environnement. Il est important de remettre des phénomènes dans leur contexte historique plutôt que de les considérer comme « naturel » et « biologique ».
Il est nécessaire d’intervenir en tenant compte de la corrélation entre les trois systèmes sans oublier que chacun présente une autonomie propre et peut donc nécessiter une modalité d’intervention spécifique.
Partant de ce prémisse, on peut considérer qu’une réponse thérapeutique face à un problème complexe, comme la maladie psychosomatique, ne peut-être que pluridisciplinaire. Il est donc nécessaire de prévoir une co-réponse et une co-participation de différentes figures professionnelles comme le médecin, le psychologue et le thérapeute familial.
La présence de l’altération biologique ne doit pas être sous-évaluée voire niée. Il est cependant primordial de prendre conscience que le fait biologique ne suffit pas à répondre seul à l’ensemble de la réalité du phénomène observé.
4.L’influence de l’intervention du technicien
Dans la perspective systémique, telle qu’explicitée ci-dessus, le thérapeute fait partie du système.
Luigi ONNIS se penche sur ce qui arrive dans cette rencontre circulaire entre le patient avec sa maladie psychosomatique et le thérapeute avec ses modalités d’intervention.
Dans un premier temps il analyse comment la demande de soin du patient interagit avec la réponse du thérapeute.
L’hypothèse de départ est que la réponse donnée par le praticien influence l’évolution de la situation de malaise.
Devant un service qui s’organise et réfléchit dans une logique médico-pharmacologique unique, la demande sera formulée comme une demande de médicalisation et de marginalisation de l’élément perturbateur.
Un écart risque de se creuser alors entre la demande et le besoin. La demande d’aide risque d’ être réduite face au malaise complexe et diffus qu’exprime le symptôme.
Or, dans le cadre de trouble psychosomatique, le symptôme s’exprime à travers le corps. La demande est d’autant plus orientée au départ vers une intervention médicale.
Au moment de la rencontre entre le thérapeute et la famille d’autres possibles sont là. Ce moment de crise qui pousse la famille à consulter est un moment propice aux changements structurels de la famille pour autant qu’elle puisse bénéficier de circonstances ou d’un cadre suffisamment sécurisant. Le patient et sa famille sont dans la confusion. La plupart du temps, ils sont prêts à reconnaître que le symptôme organique est aussi l’expression d’éléments d’ordres émotif, existentiel, psychologique.
L’élaboration d’un projet thérapeutique implique donc de co-construire une lecture de la situation en en dégageant les émotions et en retraçant l’histoire de ce qui fait mal dans le présent.
Il y a souvent de nombreuses liaisons entre ce qui se passe au niveau individuel et ce que traverse la famille.
C’est pourquoi, à partir d’un sens dégagé, il s’agit de favoriser de nouvelles expériences émotionnelles et relationnelles entre les membres de la famille et entre ceux-ci et le thérapeute afin d’ouvrir le champ de la créativité sur d’autres modalités, de comportements possibles.
Au contraire, si le praticien n’intervient que sur le patient, en s’alliant aux parents par exemple dans le cas de trouble psychosomatique porté par l’enfant, il se laisse trianguler et perpétue le jeu.
En référence à la conception structurale de MINUCHIN, rappelons que la réponse à une difficulté à communiquer directement pour affronter le problème de la relation dans le couple est d’impliquer un tiers, en général l’enfant. La dyade conjugale devient triade. Quand le stress émotionnel et le mécanisme de triangulation sont persistants, un symptôme peut être stabilisé. Soit les parents font alliance pour dévier sur l’enfant malade leur tension immergée -mécanisme de déviation- soit une alliance stable s’établit entre un des parents et l’enfant -mécanisme de coalition-.
Dans les deux cas, la maladie est adoptée pour justifier la mise entre parenthèses de tout autre problème, en particulier la difficulté des conjoints à avoir des espaces privés et d’intimité.
L’objectif commun des membres du système est alors l’évitement des conflits perçus comme une menace à l’unité.
Le thérapeute peut redonner sens à ce qui se passe en le redéfinissant comme l’expression d’un malaise qui concerne tous les membres de la famille. Il donne alors un sens au système qui va au delà de la manifestation somatique mais le relie à une situation de souffrance de tout le système, invitant tout le monde à collaborer pour l’affronter et le surmonter(recadrage). Autrement dit, le praticien évite de se laisser trianguler grâce à une vision plus globale qui tient compte de la complexité du malaise.
5.Les modalités d’intervention
5.1Dans un premier temps
, il est nécessaire que le thérapeute travaille en faveur de l’homéostasie du système. C’est la période d’affiliation. Il ne facilite pas la définition de la relation mais leur permet de continuer à éviter le conflit et de le dévier sur le symptôme de l’enfant par exemple..
Cette période peut-être définie comme la disposition de l’intervenant et de la famille à travailler ensemble.
C’est une période d’observation du fonctionnement, des règles, du rôle de chacun, de la structure( l’ossature de l’organisation), des types de relations(alliance, conflit entre différents sous-systèmes), des types de frontières intra et extra-familial, du stade du cycle de vie de la famille et des facteurs de stress intra ou extra familiaux.
Cette période de travail permet la définition d’une hypothèse de travail, le diagnostic familial, tirée des expériences et des observations faites dans une perspective d’évolution positive du problème posé.
Par ailleurs, un autre élément essentiel de la formation du système thérapeutique est le contrat thérapeutique. La famille et l’intervenant doivent arriver à un accord sur la nature du problème et les objectifs de changement. Même si il est peu précis et est amené à évoluer, il doit exister.
S.MINUCHIN (1978) a étudié les modèles transactionnels de familles avec divers types de troubles psychosomatiques (onze familles avec patients anorexiques, neuf avec enfants diabétiques psychosomatique et dix avec enfants asthmatiques).
Cette étude a permis de mettre en évidence qu’indépendamment du symptôme psychosomatique présenté, le système familial révélait des modèles interactifs et organisationnels typiques.
Ces caractéristiques sont :
L’enchevêtrement : les membres de la famille sont réciproquement hyper-impliqués, chacun manifeste des tendances à l’intrusion dans les pensées, les sentiments, les actions et les communications des autres. L’autonomie et l’espace personnel sont presque inexistants. Les limites entre les générations et les individus sont très faibles avec ,en conséquence, une confusion des fonctions et des rôles.
L’hyper protection : les attitudes protectrices sont encouragées et offertes. Quand le patient montre un comportement symptomatique, la famille se mobilise pour le soigner en cachant souvent dans ce processus beaucoup de conflits familiaux. Circulairement la famille a donc un rôle protecteur.
La rigidité : la famille est particulièrement résistante aux changements en se présentant comme unie et harmonieuse, malgré le symptôme elle récuse donc la nécessité d’un changement à l’intérieur du système. Les relations extérieurs sont pauvres.
L’évitement du conflit : le seuil de tolérance aux conflits est particulièrement bas, le patient interfère chaque fois que la tension entre les parents par exemple tends à émerger .
Pour rappel, cette théorie est descriptive et sert à argumenter une hypothèse de départ à la base du modèle systémique : l’organisation dysfonctionnelle des familles facilite l’apparition et la persistance du symptôme, lui-même servant à conserver l’équilibre « pathologique ».
A notre sens, cela ne signifie pas que toutes les familles d’enfants asthmatiques sont dysfonctionnelles mais que dans cette crise où elles ont à faire face à la maladie, certains modèles qui faisaient partie de leur connu se cristallisent et les desservent.
5.2.Dans un second temps
, le thérapeute utilise les sculptures du temps (dans l’étude vers la cinquième-sixième séance).
Cette utilisation thérapeutique est semblable au langage non-verbal caractéristique du symptôme.
Cette période correspond à un processus de transformation qui s’appuie sur les ressources familiales.
La sculpture élaborée par Luigi ONNIS s’opère en trois temps : la sculpture du présent, du passé (où chaque membre est amené à reproduire un événement familial significatif) et du futur. Ces dernières questionnent le modèle, le paradigme familial(« collectif d’évidences cachées et impératives » MORIN 1991) dans le déroulement du temps. La prise de conscience même diffuse du paradigme peut le relativiser et permettre son dépassement.
Plus concrètement, au moment de la demande, la famille souhaite un retour à la situation précédent le symptôme. Elle est dans une demande de réparation.
La sculpture familiale l’invite à passer d’une demande de réparation à une collaboration où la famille est actrice dans un processus créatif.
L’expérience est nouvelle pour la famille et touche à une part au départ moins visible, sous-jacente voire méconnue et qui pourtant l’influence dans le choix de ses actes, dans la lecture qu’elle fait des évènements au quotidien.
La famille se trouve dans un balancement entre ancien et nouveau paradigme en concurrence.
Cette phase de dialogue est délicate et demande de la part du thérapeute la création d’un cadre clair, sécurisant et respectueux.
Les sculptures systémiques ne remplacent pas la parole mais viennent en plus. Elles font apparaître la partie invisible, essentielle mais qui ne peut être dite car n’apparaissant pas à la conscience.
Elles font apparaître un bloc de croyances à laquelle la famille est attachée de manière rigide qui rendent difficiles les processus d’autonomisation et de croissance.
5.3.Enfin, dans la phase finale
, un travail est entamé séparément avec les deux sous-systèmes des parents et des enfants.
L’idée est de reconstruire les histoires tri-générationnelles et la recherche d’événements qui auraient favorisés cet « arrêt du temps » dans une perspective d’ouverture du regard posé sur le présent.
6.Conclusion et perspectives
Dans l’étude d’ONNIS, le groupe témoin, suivit en psychothérapie, présente une modification des modèles dysfonctionnels d’interactions familiales qui se manifeste par une amélioration des paramètres relationnels. Cette progression est accompagnée d’une rémission significative des manifestations asthmatiques décelable dans l’amélioration des paramètres cliniques. Ces deux éléments confirment l’hypothèse initiale.
L’intégration entre la psychothérapie familiale et le traitement médico-pharmacologique, la collaboration des compétences du psychothérapeute avec celles du pédiatre influencent les résultats thérapeutiques. L’idée est de se baser sur une collaboration ,une confiance mutuelle entre thérapeute et pédiatre.
Dans sa pratique professionnelle, Luigi ONNIS et son équipe invitent le pédiatre à la première scéance de thérapie familiale. C’est le pédiatre qui présente le patient et la famille, qui informe des caractéristiques et du décours de la maladie, qui explique pourquoi il est opportun d’explorer les aspects émotionnels et psychologiques qui avec les composantes biologiques participent au développement et à la persistance de la maladie.
Un message est alors transmis à la famille : le corps et le psychisme forment une unité, s’intègrent l’un dans l’autre.
Pour résumer, l’idée est de former un collège interdisciplinaire de compétences et de professions diverses en favorisant une collaboration étroite et utile entre les différentes spécialités, et ce en essayant d’éviter la fragmentation !
L’exigence est plutôt d’inspirer une conception psychosomatique en aidant les intervenants à rechercher et mettre en corrélation réciproque les composantes multiples : biologiques, psychologiques, interpersonnelles, familiales et sociales qui sont en jeu dans le phénomène afin de favoriser finalement une vision plus intégrée de la personne liée aux totalités plus larges de la réalité à laquelle elle participe.
L’analyse systémique permet de montrer le lien entre chronicité et intervention de l’intervenant. Il est donc utile d’envisager une politique de prévention basée sur la formation des intervenants leur permettant d’intégrer des modèles d’interventions aptes à saisir la complexité des troubles psychosomatiques.
Cette interdisciplinarité se propose comme une articulation de points de vue multiples se fondant sur une méthodologie partagée qui peut être systémique.
Le thérapeute est amené à respecter les étapes d’affiliation, de recadrage et de construction des histoires tri-générationnelles afin de permettre à la famille de dépasser son malaise.
Une mise en commun des figures professionnelles différentes en tenant compte de la différenciation des fonctions est un défi de taille pour les équipes et ce dans la recherche des corrélations capables de ne pas simplifier des réalités complexes.
Bibliographie :
(1) ONNIS L. : corps et contexte : la thérapie familiale dans les troubles psychosomatiques. ESF ed., Paris, 1989.
MEYNCKENS-FOUREZ M. et HENRIQUET-DUHAMEL M.C. : dans le dédale des thérapies familiales, ERES, éd.2° éd. 2007.
(2)ONNIS L. , DI GENNARO A., CESPA G. , DENTALE R.C. , BENEDITTI P., FORATO F., MAURELLI F., BUSINCO L., VAZZOLER C., BERNARDINI L., SERA F. : cahiers critique de thérapie familiale et de pratique en réseau 2001-2 , n°27, p.167 à 192.
CALLIE P. et REY E. : les objet flottants, méthode d’entretien systémiques. FABERT éd., Nancy, 2004.
DUPUIS F . et DUHAMEL F. : chronique sur la santé et la famille, une approche participative pour évaluer des interventions infirmières familiales en oncologie, http://www2.uqtr.ca/hee/site_5/index.php?no_fiche=56 , 2006.