I. Ma rencontre avec la systémique
J’entre à la Maison de l’Enfance et de la Famille de Monceau-Saint-Waast en 1997, comme psychologue, c’était mon premier poste.
Entre deux entretiens, je m’informais par des lectures diverses, sur la maltraitance à enfants(motif principal des placements dans l’institution).
A plusieurs reprises, figuraient des discours justifiant de la nécéssité de travailler avec les familles. Je n’ai pas d’abord tenu compte de ces points de vue, constatant que l’institution n’avait pas la famille au centre de ses priorités.
Un dilemme évident était né entre ce que je lisais et ce que je vivais.
Dans une des équipes , un éducateur m’a parlé de sa formation en thérapie familiale systémique et de ses souhaits d’inclure davantage les familles dans l’accompagnement des enfants accueillis. Nos longues discussions ont fini par m’amener à entamer également cette même formation en 1999.
Educateur spécialisé dans l’institution depuis près de 20 ans, Karim Bouaziz avait le sentiment que non seulement, les parents n’avaient pas ou peu de place dans l’insitution (tout du moins pas celle escomptée au regard de l’importance qu’elle revêtait à nos yeux dans l’évolution possible de ce qui avait initialement justifié un placement) mais encore que les contacts entre professionnels et parents étaient insatisfaisants : de là émerge le désir d’entamer une formation longue à la thérapie familiale en 1997.
II. La naissance du projet.
Nous nous sommes associés afin de montrer le bénéfice à collaborer avec la famille(visites, synthèses, retour d’hébergement, accompagnement aux rendez-vous médicaux, aux réunions "parents-professeurs"...) au cours des réunions d’équipe et du projet d’établissement.
Nous souhaitions proposer un recadrage à notre communauté d’appartenance qu’étaient les différents personnels de l’insitution.
Tout d’abord,demandez à un enfant placé ce qu’il pense ou ressent vis à vis de sa famille, à quelque exceptions près : il vous dira, qu’il s’agit de sa famille qu’il l’aime et qu’elle lui manque (au point parfois d’amener l’enfant à se rétracter sur ses déclarations). Culpabilité dirent certains, loyauté familiale diront d’autres , il n’en demeure pas moins que ce discours était récurrent chez les enfants (insufisamment "récurrent" pourtant pour espérer malmener une longue tradition séculaire de séparations irréversibles bon enfant/mauvais parents).
Alors ma question fut comment tenir compte du discours systémique de ces enfants et assurer néanmoins la protection de l’enfant, mission centrale des Maisons d’Enfants ?
Les parents ont été jugés, sanctionnés, reconnus comme ayant été en difficulté avec plus ou moins de gravité dans les faits ; la justice a prononcé sa décision : c’est un fait et c’est justement selon moi un levier extraordinaire pour entamer un travail avec la famille.
Protection de l’enfant et travail avec la famille ne sont pas antinomiques, au contraire le second pourrait bien permettre plus efficacement de concourir au premier !
Malheureusement, nous constatons encore trop souvent que des parents sont écartés ou se sentent exclus par l’institution. Si bien qu’un certain nombre de parents sont dans l’état d’esprit suivant : "vous nous jugez, ou parfois nous nous sentons jugés par vos mots, votre regard, votre ton, alors nous vous jugeons, vous les soit-disants experts de l’éducation !".
A contrario, il est étonnant de voir comment la collaboration est possible lorsque les parents ne se sentent pas complètement remis en cause dans leur compétence ; nous constatons que peu de parents refusent alors ce travail de changement en partenariat.
L’expérience nous a montré que lorsque la collaboration (travailler ensemble pour le même projet) s’intalle, les conséquences immédiates : mieux-être de l’enfant, meilleures relations famille-institution, enfant-institution, référent social-famille et globalement meilleurs résultats à long terme.
Dire bonjour, demander comment s’est déroulé le week-end, demander conseil, proposer à l’enfant de montrer son lieu de vie provisoire ..c’est peu de choses et tellement à la fois.
C’est assez simple à mettre en place et paradoxalement cela en dit long sur la place que l’on souhaite réserver aux parents ; "il n’est pas question d’éduquer votre enfant à votre place, d’ailleurs nous ne le pouvons pas et nous ne le savons pas", "regarder le bouger dans tous les sens, nous ne nous en sortons pas , comment-faîtes vous chez vous au moment du coucher ?" "aidez-nous à aider votre enfant à être heureux". En réalité, il s’agit de ne pas disqualifier les parents et de montrer à l’enfant que nous ne sommes pas meilleurs qu’eux. Au contraire tout comme lui, nous avons besoin d’eux et nous souhaitons qu’ils manifestent leur aptitude à être des parents protecteurs et sécurisants. Par ailleurs si l’on en juge à la loi de 1984 sur "le droit des usagers", celle de 2002 relative à l’autorité parentale, et aux propos récents de Ségolène Royal dans uune conférence de presse en septembre 2000 à la Sorbonne :"la prise en charge psychologique doit porter sur l’ensemble de la famille, et pas seulement sur l’enfant maltraité", il ne fait aucun doute que le travail avec la famille est devenu nécessaire et incontournable ; mais gageons que ce travail se fasse par bon sens plus que par obligation juridique !
C’est en 1998, alors que j’avais entendu Madame Z., en retour de visite, dire à sa fille :"si tu es ici, tu l’as bien cherché" que j’ai proposé à cette mère (et son compagnon) de venir me rencontrer afin de parler de la situation de placement et de son vécu à cet égard. Alors que je fais part de ma proposition lors de la réunion d’équipe, Karim Bouaziz m’a proposé que nous rencontrions ensemble la cellule familiale nucléaire.
Acceptant ce qui était pour moi un défi et une aventure, nous avons soumis ce projet à l’équipe(éducateurs, chef-éducateur, directeur...) qui a soutenu l’idée. Nous avons alors cherché un local adapté, trouvé du matériel (génogrammes..) et avons pu investir une pièce agréable qui bien que située dans l’instituion était cependant excentrée du "lieu de vie de l’enfant". Les premiers entretiens familiaux ont alors vu le jour en 1999.
Bien que soutenu par certains, ce type d’expérience inhabituelle (par sa forme et son objet) ne fit pas que des émules. Diverses questions ont alors émergées à la fois des professionnels (institution et hors institution) et de nous-mêmes, mais si peu des familles.
Les professionnels nous ont fait les critiques suivantes :
- l’institution travaille pour et avec l’enfant uniquement,
- l’institution ne doit pas empiéter sur la mission du référent social qui est de travailler avec la famille,
- les enfants sont placés à cause des parents alors pourquoi les associer, les parents ne viendront pas aux synthèses car ils délaissent leurs enfants, les parents ne respectent les calendriers de visite donc ils ne viendront pas aux entretiens...
De notre côté, je me suis demandé comment le psychologue de l’institution pouvait-il à la fois recevoir un enfant en entretien individuel et le rencontrere dans le cadre d’un entretien familial.
Karim quand à lui s’est demandé comment-il pouvait à la fois être l’éducateur d’un enfant dans son quotidien et le rencontrer avec ses parents en tant que thérapeute . J’ai estimé qu’il n’était pas judicieux d’intervenir sur un plan individuel pour les enfants que j’aurais été amené à suivre en co-thérapie familiale afin d’éviter une alliance non pertinente pour l’objectif du travail et dans le but de pouvoir assurer une partialité multidirectionnelle ; les enfants ont donc été suivi en entretien individuel (intra ou extra-muros) car les deux types d’intervention nous ont semblé complémentaires.
Quand à la position de Karim, tantôt éducateur et tantôt thérapeute, nous avons rapidement réalisé l’inconfort de cette double intervention (quoiqu’en apparence, les difficultés affectaient moins l’enfant et sa famille que les co-thérapeutes). Il arrivait d’ailleurs à Karim, en séance , lorqu’une question lui été adressée à propos de la vie de l’enfant dans le groupe de "retourner son pull" en disant, ici je ne suis pas éducateur mais thérapeute ... Conscient de ce problème, nous avons fait part de notre difficulté à l’équipe de direction, laquelle nous a prié de fournir un écrit afin de pouvoir réfléchir à des solutions.
III. Développer le champ des possibles ?
Nos formations se sont achevées et l’écrit a été rendu. Nous avons réfléchi au contexte du placement, à la place de la famile dans l’institution et à l’aide sous contrainte ; nous nous sommes ralliés à l’avis de Stéfano Cirillo qui citant les propos de Mara Selvini, estime que : "le temps est passé où les gens doivent attendre dans leur cabinet une demande de soin d’une famille ; il faut créer, inventer des contextes, amener des familles même réticentes au soin".
Ainsi, nous avons proposé à la direction de l’établissement notre projet de création d’un service de thérapie familiale dans l’institution. Notre projet a été retenu et ce service a été créé en 2002 avec le détachement complet de Karim Bouaziz en tant que thérapeute familial. Il est, encore aujourd’hui, le premier poste de ce type créé au sein de l’E.P.D.S.A.E. à laquel est rattachée l’institution(Etablissement Public de Soins, d’Adaptation et d’Education composé d’une trentaine de structures, outil du Conseil Général du Nord).
Aujourd’hui, les résultats sont encourageants à plusieurs titres : changement de la pratique dans l’institution au niveau de l’accompagnement éducatif par la majorité du personnel, sollicitation des juges pour enfants qui choisissent volontairement la structure pour son attachement au travail avec la famille, collaboration des référents sociaux, demandes d’accompagnement directes de certains jeunes et participation conséquente des parents (toutes les familles sont invités à collaborer avec l’institution en fonction des attendus du jugement et environ une famille sur trois entame une thérapie familiale).
En dépit de tous les signes favorables, une question est redondante dans nos échanges avec les partenaires extérieurs : "est-il pertinent de mener un travail de thérapie familiale dans le lieu où est placé l’enfant pour y être protégé ?" Cette interrogation nous a accompagné depuis 1998 ; la diversité des réponses de notre part et de celle de l’extérieur ne nous a pas permis de trancher de manière évidente à ce propos et de ce fait nous avons choisi de poursuivre en laissant cette question ouverte.
Finalement, le cadre judiciaire du placement d’enfant est une porte incontournable pour entamer un travail thérapeutique. En ce sens nous estimons que l’institution peut constituer un cadre intermédiaire interessant. Dès lors, si la justice est parvenue à rencontrer la famille à travers ses symptômes en prenant une mesure éducative de protection, il est légitime de penser qu’elle offre une occasion rare d’inviter les parents à s’engager avec l’insitution et les partenaires extérieurs dans un processus de changement. Mais pour faire de ce contexte un atout, il nous a fallu réfléchir et nous positionner clairement auprès des partenaires (familles, collègues et partenaires extérieurs) pour qu’eux-mêmes, sachent nous différencier tant au niveau de la fonction qu’au niveau du cadre.
Samuel Casterman, Psychologue, Thérapeute Familial 20/02/2006