Vincianne Despret à l’occasion du départ partiel de Jacques Beaujean du CFTF, lui a rendu cet hommage.
Elle a utilisé avec humour,de manière brillante et plaisante, le modèle de la vignette du plaisir d’expérience partagé.
Vitalisation des savoirs et revitalisation des liens
ParVincianne Despret
Professeur à l’Ulg et Ulb
Expérience acquise
La question des savoirs d’expériences, telle que je l’avais jusqu’à présent rencontrée, me semblait tel que je l’avais jusqu’à présent envisagé, le savoir d’expérience me semblait toujours présenter le risque que la référence à ce type particulier de savoir constitue la possibilité, pour le clinicien, de « fermer » sa pratique, c’est-à-dire d’en exclure tous ceux qui pourraient la contester : oui, j’ai pris telle décision, j’ai fait telle chose, parce que mon expérience me dictait que ... et ton désaccord, dès lors, ne vient que du fait que tu ne sais pas, que tu ne peux pas savoir.
J’ai appris, en préparant cette intervention, qu’il ne me fallait pas cesser de prendre au sérieux ce risque, mais que la réponse à y apporter n’était pas le refus de toute référence à l’expérience, mais son explicitation, en impliquant celui qui en fait l’expérience. Et qu’à l’exclusion et à la hiérarchisation qui protègent se substituaient, alors, au contraire, l’obligation de s’engager plutôt que de se protéger, et celle de partager et de rendre lisible.
Catégorie :)
I CH C, (I pour Intervention, CH pour cérémonie d’Hommage, C pour CFTF
Illustration de la situation
1. Contexte : La demande est amenée par Hanelore Schrod, et s’inscrit donc dans le réseau personnel ; mais elle est formulée comme une demande professionnelle émanant de l’équipe du CFTF. Ceux-ci sont mis en difficulté par l’événement de la mise à la retraite partielle d’un des formateurs du centre. La demande cependant n’évoque pas de difficulté par rapport à cet événement, mais par rapport à la forme à lui donner. Il semblerait que les réponses traditionnellement aménagées (et considérées, je cite, comme de l’ordre de la cérémonie protocolaire) pour cet événement ne puissent convenir. L’équipe a donc imaginé un autre type d’offre.
2. L’offre a été clarifiée dans un mail envoyé à tous les intervenants concernés. En voici un extrait : il s’agira de « réunir autour de lui une brochette de thérapeutes et formateurs en thérapie familiale pour travailler sur un de ses thèmes de prédilection :le partage du savoir d’expériences.
Pour Jacques Beaujean, cette notion est au coeur de l’existence de tout système (individu, couple, famille, organisation, société) et renvoie à la capacité d’extraire des savoirs au départ des expériences vécues susceptibles d’orienter « les choix de vie. »
3 Le génogramme : dans la mesure où l’intervention imaginée se fonde non pas sur une transmission biologique, mais selon les règles d’une transmission ouverte et non finie en termes d’expériences, le génogramme n’a pas été dessiné, mais considéré comme mis en acte et à l’épreuve de cette transmission. En d’autres termes, ce n’est pas la filiation qui détermine la transmission, mais la transmission et son acceptation qui constituent la filiation.
4. Isomorphismes
J’avais, au départ de cette intervention, quelques réticences à accepter la demande. La question de l’expérience du professionnel de soin comme source de savoir et de légitimité, dans le domaine de la santé mentale me posait problème et j’avais, à priori, un réflexe plutôt critique à son égard. La difficulté que soulève le concept d’expérience a été bien soulignée par le psychiatre et anthropologue Robert Barrett.
Selon Barrett, [1] l’expérience peut être invoquée, par les praticiens, pour répondre à l’enjeu de l’autonomie professionnelle et pour régler, voire court-circuiter les difficultés liées à la rivalité des professionnels engagés dans le champ du soin.
Par autonomie professionnelle, il faut entendre, dans ce contexte, le « contrôle légitime sur le travail », que ce soit vis-à-vis de l’Etat ou dans les rapports quotidiens avec d’autres professionnels engagés dans le même domaine. Ces dernières décades ont vu une multiplication du nombre absolu de travailleurs sociaux, du nombre de groupes professionnels représentés et de la différenciation interne à chaque groupe.
Cette augmentation est liée, explique Barrett,
à une expansion plus générale des professions consacrées au « soin des personnes ». Chacune de ces professions a consacré ses efforts à créer son autonomie, et donc sa spécificité, vis-à-vis des autres professions.
Comment garantir le« contrôle légitime sur le travail », et donc l’autonomie, dans un domaine d’une part de plus en plus marqué par la concurrence entre les diverses professions de l’aide et du soin - les revendications au droit de soigner n’étant plus l’apanage des seuls psychiatres- et d’autre part dans lequel les champs de compétence se recouvrent ?
Le « savoir technique » ne peut seul suffire pour asseoir cette légitimité. Ce dernier est transmissible, public ; il peut être posé sous la forme d’un code rationnel, formulé avec précision, et donc susceptible d’être ouvertement communiqué aux étudiants et même aux personnes extérieures à la profession. En d’autres termes, la formulation d’un savoir spécialisé sous la forme de règles et de prescriptions a pour conséquence que ce qui définit la compétence d’une profession repose sur un savoir accessible aux personnes extérieures, ouvrant ainsi la profession à un contrôle externe, et donc à la menace toujours possible de devoir « rendre des comptes ».
Or, la notion d’expérience relève d’un autre champ de savoir et de compétence : ce qu’on appelle un savoir « indéterminé ». Ce qu’on appelle un savoir indéterminé est un savoir qui « ne peut s’apprendre dans les livres » par opposition au « savoir technique ». Il est le résultat de l’expérience, sur de longues périodes de temps : il ne s’acquiert que dans une pratique de longue haleine.
Et comme tel, il n’est donc pas accessible à tous, pas lisible, et peut dès lors toujours s’immuniser contre toute forme d’intrusion de ce qu’on définira comme exclu du champ professionnel. Et cette revendication peut d’autant plus être renforcée aujourd’hui que les gens ont de plus en plus facilement accès aux savoirs, comme en témoigne le succès des sites de diagnostic dans le domaine médical, et dont les médecins se plaignent si souvent : les patients viennent en sachant déjà ce qu’ils ont, ou plutôt, si on écoute la manière dont les médecins formulent les choses en mobilisant toutes les ressources inventées par l’anthropologie pour parler des savoirs des « Autres » : les patients viennent en croyant le savoir.
Pour le dire plus clairement, on peut faire un parallélisme entre les stratégies des psys et celles des médecins : les psys invoquent une expérience impossible à acquérir par les profanes (voire par les intervenants rivaux dans leurs domaines, comme les assistants sociaux ou les infirmiers psychiatriques) ; les médecins refont la vieille séparation qu’avaient concoctée les anthropologues entre ceux qui savent et ceux qui croient, ou pire qui croient mais ne savent pas qu’ils croient.
Bref, la similitude, sans doute un peu caricaturale, rend perceptible le mécanisme commun derrière cette démarche : le mécanisme de l’exclusion.
Sans doute un premier isomorphisme pourrait-il être tenté qui rendrait compte de la sensibilité toute particulière que j’éprouve à l’égard de l’expérience prise dans de tels enJeux.
Il n’est pas improbable cette critique traduise une inquiétude existentielle que j’ai pu rencontrer, celle d’être exclue d’un champ de compétence sans avoir aucune maîtrise sur ce qui autorise cette exclusion, et que cette inquiétude est dans le destin de nombre de femmes d’une ère pas encore tout à fait égalitaire, qui comme moi appartiennent à une génération où certains mécanismes d’exclusion par rapport au savoir, subrepticement, étaient encore l ’oeuvre.
Et il est probable que cette sensibilité particulière par rapport à un savoir qui pourrait exclure soit renforcée par le fait que j’ai choisi d’être philosophe, c’est-à-dire de travailler dans un domaine où l’accusation« tu n’es pas philosophe » est une arme redoutable, puisqu’elle permet à certains de déterminer ce qui relève de la philosophie et de ce qui n’en est pas, ce qui les autorise donc à exclure en masquant l’arbitraire même de cette exclusion. Je m’en tiendrai là pour les isomorphismes qui concernent ma propre position face au savoir.
Mais c’est justement à cette inquiétude que répond la proposition de Jacques Beaujean avec son dispositif. Les vignettes de savoir d’expérience sont justement l’antidote de cette possibilité de repli sur soi protecteur.
Elles obligent à rendre lisible, pour soi et pour les autres.
Elles obligent à « faire l’expérience », c’est-à-dire à mettre à l’épreuve.
Je voudrais m’arrêter ici à l’étymologie du terme expérience, à propos de laquelle je me suis rendu compte qu’il y avait matière à penser. « ’Expérience’ vient du latin experiri, éprouver. Le radical est periri que l’on retrouve dans periculum, péril, danger. La racine indo-européenne est -per à laquelle se rattachent l’idée de ’traversée’ et, secondairement, celle d"épreuve’. En grec, les dérivés sont nombreux qui marquent la traversée, le passage : peirô, traverser ; pera, au-delà ; peraô, passer à travers :perainô, aller jusqu’au bout ; peras, terme, limite [ ... ] Les confins entre un sens et l’autre sont imprécis.
De même qu’en latin periri, tenter et periculum, qui veut d’abord dire épreuve, puis risque, danger. L’idée d’expérience comme traversée se sépare mal, au niveau étymologique et sémantique, de celle de risque. L"expérience’ est au départ, et fondamentalement sans doute, une mise en danger.
Toutes les sciences expérimentales pourraient être ici convoquées pour témoigner de la vivacité encore présente de cette lointaine origine. Mais je voudrais également ne pas perdre l’idée qui reste également active dans cette étymologie, l’idée de traverser, l’idée d’un passage.
C’est cette idée que Jacques Beaujean fait doublement exister dans ce projet : il s’agit d’apprendre à traduire cette expérience, transducere, la conduire au travers, la rendre partageable, la rendre dicible, mais aussi en traduire les différents régimes, les régimes des épreuves d’une vie, la sienne, qui entre en résonance avec les régimes de la situation, avec la manière dont la famille s’organise, dont la demande se fait ou se tait, dont l’offre s ’actualise, avec les régimes de la théorie, de
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ce qui s’apprend, se retient ou se refuse à être appris. Tant l’expérience que la traduction, en convoquant l’idée du passage, rappelle qu’il y a des frontières. Et les frontières, on le sait, n’invitent qu’à une chose : à être passées.
Daniel Stern, dans son éthologie clinique des nourrissons, remarquait que les enfants, jusqu’à l’acquisition de la parole, avait une compétence singulière, que nous perdons, à l’exception des poètes et de quelques artistes : ils sont transmodaux. Ils peuvent passer d’un registre de sensorialité, mais nous pourrions dire d’expérience, à l’autre sans discontinuer. Le monde n’est pas fixé, les catégories pas fermées. Ils peuvent faire l’expérience d’une tache de soleil en la touchant, en la goûtant, en la regardant.
La musique a sans doute encore pour eux des couleurs. Les vignettes de savoir d’expérience ont cette caractéristique : non seulement elles suscitent la transmodalité, un passage des frontières entre expériences de vie, expériences professionnelles, théories, liens organisationnels, affects, savoirs, loyautés, héritages, vécus corporels, mais elles engagent à la déplier le plus loin possible pour créer le plus grand nombre de connections avec d’autres expériences, avec d’autres mises à l’épreuve. Car c’est bien aussi de cette fécondité dont il est question : la possibilité de créer des connexions d’expérience, et de faire de ces connexions un savoir.
Qui sait, si j’étais clinicienne et si j’avais pu écrire une vignette, qui sait comment mes arrières grands-parents, morts de chagrin et de culpabilité tous deux après le décès d’un de leur fils, George, dans l’accident ferroviaire de 1904 à Schaerbeek, drame que mon père n’a cessé de me raconter, qui sait donc si mes arrières-grands-parents ne seraient pas revenus, dans un geste ou une paralysie d’intervention, et qui sait s’ils ne m’auraient pas engagée à tisser un fil, une connexion partielle, un chemin d’élucidation ou de mise en sens, avec ce couple dont Jacques Beaujean écrit la douloureuse histoire de la séparation, après la mort de leur fils Christian, dans l’accident d’une voiture qu’ils lui avaient offerte. N’importe quelle expérience de vie, écrit-il plus loin - provoquer un accident, installer une clôture dans sa propriété-, peut faire l’objet d’un échange de savoir.
Mais ces expériences prennent encore un autre sens comme passages, comme connexions partielles, comme traductions et effractions de domaines hétérogènes, de régimes d’expériences et de vies diverses. A la lecture du livre de Jacques, j’ai été frappée par un contraste récurrent, souvent implicite mais omniprésent. Celui entre les savoirs dévitalisés, les savoirs morts, et les savoirs vivants. Tout le chemin qui suit ce livre me semble accompagné par cette interrogation : comment on dévitalise les savoirs, et comment on les revitalise.
Et la question de l’expérience comme ce qui « fait passer », comme épreuve de passage en est le coeur et la réponse. Car le contraste ne passe pas comme on le fait traditionnellement, entre le savoir théorique et le savoir d’expérience. Il passe, et ce que j’ai évoqué à propos des vignettes l’annonçait, entre savoirs désarticulés et savoirs articulés, articulés ici au double sens de « connectés » et de « dits » par les mots de la parole ou de l’écriture échangés.
Savoirs désarticulés de la pratique, mais surtout savoirs désarticulés de l’échange et, plus encore, savoirs désarticulés de soi-même.
Le savoir faire est un savoir se faire, et qui signe la possibilité d’un accomplissement. Le savoir faire, alors, est également un « faire savoir », et c’est la dimension de l’échange qui accomplit le professionnel comme professionnel et comme personne : échange de soi à soi, je veux dire échange des différentes parties de soi, la partie profane et la partie professionnelle, et échange avec les autres, je veux dire échange avec la partie profane et la partie professionnelle des autres.
Je crois que ces articulations sont ce qui, selon Beaujean, confèrent de la vitalité au savoir. Et définissent le professionnel. Ce qui veut dire de ce fait que la transgression que régit l’expérience comme épreuve, comme passage et comme mise à l’épreuve, régule également la possibilité du passage du domaine profane et du domaine professionnel, en rendant ce passage certes risqué, mais moins dangereux parce que justement il ne se fait pas en contrebande (ou dans le déni), parce qu’il se soumet à l’exigence d’être échangeable et échangé.
Je pense que ce que je suis en train de tisser recoupe ce beau passage du dialogue imaginaire entre deux intervenantes, dans le livre de Jacques, et dont l’une explique à l’autre ce que les vignettes l’autorisent à faire et à explorer.
Je vous lis : « Il s’agit d’échanger sur mon changement personnel à l’occasion du cas, sur ce que j’ai appris de mon patient, en quoi il m’a incitée à me poser de nouvelles questions. Ce sont l’inattendu, la surprise, la découverte, mon interrogation, qui sont l’objet de l’échange. Pour moi, ce savoir-là, je l’appelle le savoir identitaire parce qu’il me met à l’épreuve dans une partie de moi-même » (p. 98).
De ce court extrait, je tirerais deux fils. D’abord, les mots que Jacques prête à son intervenante ne sont pas sans me rappeler la démarche des ethnopsychologues, comme Catherine Lutz. Catherine Lutz est allée interroger les lfaluk, qui forment une petite communauté dans un atoll du Pacifique occidental. Elle s’est intéressée à leurs émotions, à la manière dont ils définissent et vivent les relations, la personne, la conscience, le bonheur. Le traducteur français de son article sur la dépression a proposé de définir sa pratique comme une pratique « d’entre-traduction ». Car à chaque fois qu’elle apprenait quelque chose sur les lfaluk, quelque chose qui la surprenait, qui la rendait perplexe ou qui la faisait s’interroger, elle se rendait compte
qu’elle apprenait quelque chose à propos d’elle-même. Chaque fois qu’on traduit les autres, c’est également soi-même- qu’on s’oblige à traduire. Si cela me surprend, qu’est ce que j’attendais ?
Et comment ce que j’attendais me situe-t-il, me définit-il, m’apprend quelque chose de moi que je ne savais pas, et dont la surprise m’indique
que je suis en train de l’apprendre ? La mise à l’épreuve est bien constitutive d’un savoir identitaire.
Mais plus encore, le « savoir de soi » qu’y gagne l’intervenant, dans le geste
d’explicitation et de partage qui oblige à le déplier, l’expérience d’explorer le sens que peut avoir le fait d’être paralysé, surpris, ou encouragé par un élément de sa propre histoire, active alors la dimension « profane », la part profane de l’intervenant, celle qui appartient à sa vie et à son histoire, à son identité de personne. Et, de ce fait, cette part profane de l’intervenant, ainsi activée, je crois qu’elle peut alors faire alliance avec l’altérité profane du consultant. Et que la réciproque est également vraie. Tout comme le consultant, en mettant à l’épreuve et en modifiant son intervenant, active lui-même ses propres ressources thérapeutiques à l’égard de celui à qui il s’adresse. Et je crois que Jacques fait le pari que cette part profane de
l’intervenant activée par la part thérapeutique de son patient, peut prendre une nouvelle densité dans cette mise à l’épreuve lorsqu’elle est explicitée dans les échanges des vignettes, et qu’elle donne plus de consistance à la fois à la personne et à l’intervenant. Je dirais qu’elle donne à sa subjectivité plus d’épaisseur et plus de densité.
En d’autres termes, c’est dans ce qu’on transmet que se construit la subjectivité.
En proposant cette traduction aux vignettes, et en affirmant qu’elles rendent lisibles le fait que c’est en transmettant qu’on construit sa subjectivité, je rejoins le second fil que j’avais annoncé au départ de l’extrait que je vous ai cité. Mais ici, je voudrais en revenir à ce qui nous réunit. Car si j’ai construit mon exposé sous la forme d’une vignette d’expérience, c’est parce que cela me permet de suivre les lignes de force d’un autre isomorphisme, et pas seulement entre ce que je fabrique et la situation dans laquelle j’interviens, mais entre l’événement qui nous réunit et ce que Jacques a créé et nous transmet. Car entre ce point d’inflexion d’une vie qui est cette cérémonie
d’hommage et les vignettes de savoir d’expérience, la connivence me semble à présent pouvoir être traduite dans les termes qui se sont imposés tout au long de ce que je viens de tisser. Qu’est ce qu’un hommage fait à quelqu’un qui lègue et délègue ? Qu’est ce qu’un hommage à quelqu’un qui se dégage partiellement ? Que ce soit à propos d’un défunt, d’une mise à la retraite ou même d’une mise à la retraite partielle, ou encore d’un bilan d’oeuvre, tous les hommages ont la même composante : on construit un héritage identitaire.
Chaque personne appelée à intervenir va dire ce qu’elle a reçu, ou ce qu’elle a été autorisée à devenir ou à faire et qu’elle n’aurait pas fait ou été sans la personne à qui l’on rend hommage. Ce qui veut donne son sens à ma proposition : l’hommage construit un héritage identitaire.
Chaque personne apporte une part différente de cet héritage que les autres ne connaissent pas, et de ce fait, tous construisent une nouvelle identité à celui qui s’en va, épaissie de ce que les uns et les autres lui reconnaissent et que chacun ne savait que pour lui-même, et de ce fait, rendent ce qui est légué plus dense, plus fécond, plus vivant.
Et, en même temps, chacun se construit dans le geste de la
reconnaissance, s’identifie dans le geste de la reconnaissance. C’est ainsi que l’héritage non seulement s’accroît dans le geste même de la transmission, mais également gagne la vitalité qui lui permettra de continuer à féconder, à être transformé, à être réinventé par chacune des subjectivités, à être articulé.
Mais l’hommage auquel nous participons, tout en relevant bien de cette catégorie, présente quelque chose de différent. Il ne s’agit pas de dire ce qui a été reçu, mais de mettre en acte le fait même de le recevoir, de le prolonger, et de lui insuffler la vitalité de nouvelles expériences. En d’autres termes, non pas ce que cet héritage nous a fait, mais ce qu’il nous fait faire.